CAFB=Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire
Qui aurait prévu il y a trois ans qu'un diplôme qui a été la matrice du développement de la lecture publique en France disparaîtrait dans le grand déluge statutaire ? Et pourtant, si on suit l'enchaînement des événements, une telle issue était difficilement évitable.
Acte I: la revendication sociale
Les bibliothécaires-adjoints et sous-bibliothécaires qui ont fourni les gros bataillons des manifestations de l'automne 1990, réclamaient à juste titre une revalorisation catégorielle.
Dans la fonction publique d'État, cette aspiration avait pris la forme d'une revendication de reclassement en catégorie A - ce sera le fameux A', un moment préconisé par les services du ministère de d'Éducation nationale comme cadre d'intégration, sinon unique, du moins très majoritaire, des actuels "BA".
Mais dans la fonction publique territoriale, où la disparition de la catégorie B d'une filière entière relève de l'utopie inexprimable, on a réclamé une revalorisation indiciaire indexée sur un renforcement concomitant de la formation initiale: "notre niveau réel (en termes de qualification et d'attributions) étant bac + 2, reclassez-nous à bac + 2 et, dans un même mouvement, transformez le CAFB en diplôme bac + 2." Et le tour était joué !
Acte II: la normalisation statutaire
On ne dira jamais assez que le vieux statut communal, quoique passablement décalqué sur la fonction publique d'État, était aussi peu normatif que possible. Dans les bibliothèques municipales, les concours sur épreuves, notamment internes, étaient exceptionnels. En catégorie B comme en catégorie A, on recrutait le plus souvent sur titre - sur CAFB. De nombreux employés de bibliothèque préparaient le CAFB pour accéder à ces catégories. C'est à l'abri de ce particularisme réglementaire que le CAFB a servi pendant 40 ans de formation professionnelle commune aux futurs sous-bibliothécaires et bibliothécaires.
Or la mise en place des statuts particuliers de la fonction publique territoriale a été une véritable entreprise de normalisation se traduisant par la généralisation des recrutements par concours, interne ou externe, et de la formation post-recrutement. Dans ce nouveau paysage, le CAFB perdait de toute façon l'interne et la catégorie A. De plus, la bataille statutaire aboutissait à un compromis consistant en un empilement de toutes les carrières anciennes et revendiquées. Le champ du CAFB (sous-bibliothécaires et bibliothécaires) connaissait une diffraction en quatre cadres d'emplois, parmi lesquels un seul était susceptible de le concerner: celui des assistants qualifiés (x) de conservation, classé dans la toute récente catégorie standard dite CII (classement indiciaire intermédiaire) créée pour accueillir les fonctionnaires recrutés à bac + 2. Or, cette carrière devenait nécessairement accessible aux titulaires de diplômes bac + 2 (DUT et DEUST) préexistant à la construction statutaire.
Ainsi, après avoir perdu le recrutement interne, la catégorie A et la moitié de la catégorie B, le CAFB perdait son monopole. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que, dans la première version des projets de statuts de la filière culturelle territoriale, qui provoqua le mouvement revendicatif de l'automne 1990, il n'apparaisse pas, le ministère de l'Intérieur disant suivre en cela les recommandations de celui de l'Éducation nationale. Sa survie fut un des en jeux de la bataille, qui sur ce point s'acheva victorieusement... sur le papier.
Acte III : la normalisation universitaire
Ce papier, c'est le procès-verbal de la séance du 21 février 1991 du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale au cours de laquelle fut votée la version finale des décrets portant statut des nouveaux cadres d'emplois. On y lit: "La formation dispensée pour l'obtention du CAFB portée à 2 ans conduira à une revalorisation de ce diplôme, et permettra aux titulaires de ce diplôme de se présenter au concours externe d'assistants qualifiés. L'importance du CAFB est donc tout à fait reconnue. Cette avancée répond aux revendications présentées par les organisations syndicales." (1)
Tel était l'engagement du ministère de l'Intérieur, arbitré par "Matignon". Mais le dossier était entre les mains du ministère de l'Éducation nationale, qui travaillait sur une tout autre hypothèse. La survie d'un diplôme national atypique dont l'insertion dans l'université était floue ou inexistante ne se justifiait plus, dès lors que des DUT et DEUST préexistants pouvaient être retenus pour l'accès au concours externe de niveau bac + 2.
Cependant, la main gauche de l'État ignorant ce que faisait sa main droite, le ministère de l'Intérieur considéra longtemps comme acquise la transformation du CAFB en diplôme préparé en deux ans, comme en témoignent des réponses à des questions écrites aux assemblées dont la dernière date de décembre 1991 (JO du 19/12/91, p.2862) . Alors que dès le congrès de Dijon de l'ABF, en juin 1991, Jean Tabet, directeur du CRF de Marseille, jouait les Cassandre en annonçant comme certaine la mort du CAFB, ce ministère semble n'en avoir pris réellement conscience qu'au début 92. Et le 14 mai, il présentait au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale un projet d'arrêté comportant la liste des diplômes donnant accès au concours externe d'assistant qualifié, parmi lesquels le CAFB ne figurait pas.
De la survie artificielle à la liquidation de l'héritage
Si l'inéluctabilité de la mort du CAFB n'apparut pas clairement à tous, c'est sans doute parce que les dispositions en matière d'intégration des sous-bibliothécaires ont fourni à celui-ci l'occasion d'un dernier tour de piste, qui sera son chant du cygne.
C'est en effet le 21 février 1991 que fut, in extremis, ajoutée aux conditions d'intégration en CII la possession d'un deuxième CAFB tenant lieu de diplôme de 1er cycle, avec une période transitoire courant jusqu'au 31 /12/93 puis, après parution d'un décret rectificatif, jusqu'au 31/12/94. Par effet de symétrie mal compris, puisque la détention d'un CAFB ne leur avait jamais été exigée, les mêmes conditions furent appliquées aux bibliothécaires-adjoints de l'État.
C'est ainsi que les CRF, dont l'avenir devenait incertain, furent enrôlés dans une mission provisoire: préparer des "B type" en poste à décrocher le CAFB ou la spécialisation du CAFB leur permettant d'être intégrés en CII.
C'est une circulaire adressée le 1er juillet 1992 aux directeurs de CRFC par Évelyne Pisier, DLL (Culture) et Roland Peylet, DPDU (Éducation nationale) qui "lâchait le morceau". On y lit à propos des candidats au CAFB ne souhaitant pas s'orienter vers les concours des fonctions publiques:
"[...] il est nécessaire que ces candidats soient prévenus que le diplôme auquel il se sont inscrits cessera d'être délivré après la session de l'examen de 1994".(2)
C'est dans cet échantillon de littérature grise qu'était enfin, quoique par périphrase, annoncée officiellement et par écrit cette nouvelle considérable: le CAFB n'était plus qu'un mort en sursis.
Lorsque le Ministère de l'Intérieur réunit le 14 mai 92 les membres du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale pour leur présenter les projets de décrets relatifs aux concours, il savait qu'il aurait à s'expliquer sur l'absence du CAFB de la liste des diplômes donnant accès au concours externe d'assistant qualifié de conservation alors qu'il s'était engagé sur sa survie et sa transformation. Aussi avait-il demandé à être assisté de représentants du Ministère de l'Éducation nationale(3).
Ce fut le clash. Des représentants syndicaux territoriaux crièrent à la trahison. La séance s'acheva sur la promesse de négociations entre ceux-ci et le ministère de l'Éducation nationale, fait sans précèdent. Plusieurs séances se déroulèrent qui se conclurent le 16 juillet par l'engagement, au demeurant assez vague, du Ministère de l'Éducation nationale de mettre sur pied une formation bac + 2 véritablement adaptée aux besoins de la profession. D'où on pouvait conclure que les DUT ou DEUST homologués pour l'accès au concours d'Assistant qualifié seraient redéfinis, ou aménagés, ou au moins réexaminés.
Les DEUST étant définis au niveau de chaque université, seuls les DUT offrent un cadre national unique. La liste des diplômes donnant accès au concours d'assistant territorial qualifié de conservation dans les spécialités Bibliothèque et Documentation (4) en cite trois :
- spécialité Carrières de l'information, option Documentation ;
- spécialité Information-Communication, option Documentation d'entreprise ;
- spécialité Information-Communication, option Métiers du livre. Toute la question est de savoir si on peut se contenter de ces cadres préexistants ou si l'on doit s'acheminer vers la création de nouveaux départements.On a pu dire que ces formations comportaient un contenu professionnel inférieur à celui du CAFB: la part d'enseignements généraux, le tronc commun (la spécialité "info-com" comprend également les options Journalisme, Publicité, Tourisme) et l'impossibilité d'inclure les anciennes spécialisations du CAFB (Jeunesse, Musique...) expliquent ce phénomène qui nous éloigne singulièrement de l'utopie primitive du CAFB renforcé.
Cependant, pour la préparation à des diplômes qui concerneront majoritairement de simples bacheliers, ce qui n'était pas forcément le cas du CAFB, on ne peut nier l'utilité d'enseignements généraux. D'autre part, il faut se garder de la tentation de l'isolement. Pour des raisons pratiques (puisque ces formations n'héritent que d'une part minoritaire des missions du CAFB, les débouchés ne seront jamais suffisants s'ils concernent notre seule profession). Et pour des raisons de fond : le caractère interprofessionnel de la formation est une richesse dont il serait dangereux de vouloir se priver. Il se justifie particulièrement avec les autres "métiers du livre" (édition, librairie), et avec la documentation, les techniques documentaires constituant de plus en plus le substrat technique commun des deux professions.
La question de la définition des diplômes bac + 2 est très importante, puisque, après le déluge statutaire, c'est la seule formation professionnelle avant recrutement qui subsiste. Il serait souhaitable que les collectivités locales, sur les conseils des directeurs d'établissement, recrutent à ce niveau plutôt qu'en B-type, et que l'Éducation nationale accepte, en organisant des concours de bibliothécaire-adjoint spécialisé, ce qu'elle refuse actuellement, d'offrir des débouchés à une formation qu'elle est elle-même chargée de mettre en place.
Mais la question de l'héritage du CAFB va bien au-delà, puisque c'est de tout le système de formation initiale des catégories A et B, soit de quatre corps ou cadres d'emplois, qui est en jeu. L'étrange dispositif qui se met en place marie diaboliquement l'incohérence et le risque.
L'incohérence, puisque les durées de formation professionnelle seraient dans l'ordre, du B-type aux conservateurs, de 6, 30, 12 et 18 mois dans la fonction publique territoriale et de 0, 24, 1 2 et 1 8 mois dans la fonction publique d'État (quoique s'agissant du concours de BA d'État, qui reste professionnalisé, une formation avant recrutement soit recommandée, ce qui donnerait: 6, 24, 12 et 18 mois).
Le risque, puisque dans trois cadres d'emplois territoriaux sur quatre et deux corps d'État sur quatre, la formation professionnelle initiale sera seulement "post-recrutement". Or, dans la fonction publique territoriale, nous ne savons rien de l'avenir d'une procédure qui est de plus en plus contestée, et on le comprend, par des collectivités locales qui rechignent à voir partir en formation des agents qu'elles viennent de recruter.
Enfin, la préparation aux concours internes, dont la généralisation dans la fonction publique territoriale ne peut être qu'une bonne chose, devra être organisée par le CNFPT.
Ce nouveau paysage se caractérise enfin par une grande dispersion des acteurs de la formation: universités et IUT, CNFPT, IFB, ENSSIB, et, on veut le croire, CRF.
Que vont devenir les treize CRF (centres régionaux de préparation aux carrières des bibliothèques) ? Leur sort a fait l'objet, de la part des responsables des services ministériels, de quelques déclarations orales, mais rien de précis n'a jamais été écrit. Tout se passe comme s'ils étaient livrés à eux-mêmes, c'est-à-dire au pur jeu des rapports de force institutionnels locaux. A eux de s'insérer dans l'université, en participant par exemple à la mise en place d'un département d'lUT, comme l'a fait Médiadix à Nanterre.
L'IFB (Institut de formation des bibliothécaires) qui vient de s'installer à Villeurbanne n'est autre que le CNCBP de Massy délocalisé et réorienté dans ses missions. La principale de celles-ci sera d'organiser la formation post-recrutement des bibliothécaires d'État et, par conventionnement avec le CNFPT, territoriaux. Ce dispositif présente le double avantage d'organiser à ce niveau une formation en partie commune entre les deux fonctions publiques et d'apporter des garanties quant à leur contenu, notamment pour les territoriaux. Mais on est en droit de s'interroger sur la pertinence d'une coexistence dans l'agglomération Iyonnaise de trois structures indépendantes, l'ENSSIB, l'IFB et le CRF de Lyon-Grenoble, qui solliciteront concurremment les mêmes ressources en matière de compétence professionnelle(5).
Il serait peu sérieux de mettre en péril, en fonction de leurs possibilités de survie à court terme, un réseau qui, à l'exception notable de l'Ouest, assure sur l'ensemble du territoire la pérennité d'un enseignement professionnel initial et continu à (presque) tous les niveaux.
Enfin, si l'on peut avec le Ministère de l'Éducation nationale juger dépassé un enseignement aux mains des seuls professionnels, encore ne faut-il pas retourner le bâton dans l'autre sens et garantir à ceux-ci une parité réelle avec les universitaires et ce y compris à l'ENSSIB.
Si considérable qu'ait été son rôle historique, le CAFB était sans doute dépassé. Avec la réforme de 1989, il était devenu une sorte de monstre et son statut de bac + 1 " n'était déjà plus qu'une fiction. Pourtant, la pérennité d'une formation en un an, si elle n'était plus défendue dans les fonctions publiques, répond encore à une nécessité dans le secteur privé et associatif (bibliothèques de CE, documentation...).
Le réseau des bibliothèques françaises a besoin d'un système cohérent et progressif de formation professionnelle initiale, de la catégorie C au plus haut niveau de la catégorie A, inséré dans l'université mais associant étroitement les bibliothécaires, dépassant les dichotomies entre État et collectivités territoriales, lecture publique et bibliothèques d'étude et de recherche, et même pour partie bibliothèque et documentation, prenant en compte des spécialisations redéfinies et intégrant les besoins de la formation permanente.
La réforme statutaire nous laisse avec un paysage éclaté. Il faudra beaucoup d'efforts pour retrouver une cohérence. Mais c'est à ce prix que le CAFB ne sera pas mort pour rien.
Petite chronologie du CAFB 17 septembre 1951 : la fondation
Pas d'option, stage de six semaines (JO du 28/09/51)26 juillet 1960: la première réforme
Épreuves d'admissibilité divisées en quatre spécialités: Bibliothèques d'instituts et de laboratoires, Bibliothèques d'enseignement et Bibliothèques pour la jeunesse, Bibliothèques municipales (épreuves centrées sur le livre ancien) et Lecture publique. Il est possible de concourir dans plusieurs spécialités (JO du 10/08/60).19 septembre 1974: la seconde réforme
Redéfinition des quatre spécialités: Bibliothèques publiques, Bibliothèques spécialisées et services de documentation, Bibliothèques d'enseignement et bibliothèques pour la jeunesse, Discothèques et bibliothèques musicales (JO du 27/09/74).1986-1987: la création de centres régionaux de formation
Alors que jusqu'ici la préparation au CAFB était prise en charge de façon diversifiée suivant les régions (BM, BCP, BU, et en région parisienne une antenne de l'ENSB), treize centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation sont créés, à la suite d'un appel d'offre, par conventionnement avec les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture. Ils sont dirigés par des professionnels des bibliothèques et dotés en personnel par l'Éducation nationale, avec quelques apports complémentaires de la Culture.5 mai 1989: la dernière réforme
Un tronc commun, deux options (Médiathèques publiques et Documentation) et six spécialisations: Jeunesse , Musique,Image et Patrimoine (correspondant à l'option Médiathèques publiques), Documentation administrative et Bibliothèques spécialisées (option Documentation). Des prérequis universitaires correspondant aux différentes options et spécialisations sont supposés nécessaires. Le stage est porté à 160 heures (JO du 13/05/89).21 février 1991: l'illusion
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale adopte les projets de décrets de la filière culturelle territoriale. Le procès verbal de cette séance mentionne la transformation du CAFB en diplôme sanctionnant deux années de formation2 septembre 1991: la mort programmée
Les statuts territoriaux parus au JO du 04/09/91 ne mentionnent le CAFB qu'à propos de dispositions transitoires d'intégration. Cela provoquera un mouvement d'inscription à tout ou partie des modules afin de bénéficier d'une meilleure intégration.15 mai et 3 septembre 1992: la mort confirmée
Les listes de diplômes donnant accès au concours externe de bibliothécaire-adjoint spécialisé (JO du 23/5/92) et d'assistant qualifié (JO du 03/09/92) ne mentionnent pas le CAFB.Juin 1994: la dernière séance ? La période transitoire d'intégration s'achevant le 31 décembre 1994, le CAFB ne devrait pas survivre à la session de 1994.
Le chapitre consacré par Daniel Renoult à la formation professionnelle, dans le tome IV de l'Histoire des bibliothèques françaises, éd. Cercle de la librairie, 1992.
(1) France. Ministère de l'Intérieur. Direction générale des collectivités locales. Secrétariat du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. - Conseil supérieur de la fonction publique territoriale: procès verbal: assemblée plénière du 21 février 1991 {p. 30, intervention de M. Lemas, directeur général des collectivités locales).(2) France. Ministère de l'Éducation nationale et de la Culture. - Circulaire DPDU 12/SBS/n° 333 et DLL-DLB n° 92-1093 du 01/07/92.
(3) Bien que les Ministères de l'Éducation nationale et de la Culture aient été réunis en un seul, les directions ont été laissées en place. Par commodité, on les désigne ici par le nom de leur ancien ministère de rattachement.
(4) La liste des diplômes concernant le concours de bibliothécaire-adjoint spécialisé n'en cite nommément aucun, les désignant sous l'expression "DUT ou DEUST des métiers du livre et de la documentation".
(5) L'IFB a été depuis absorbé par l'Enssib (note ajoutée le 2 avril 2006).
Publié par Dominique Lahary