Le nouvel âge des catalogues
par Dominique Lahary, directeur de la Bibliothèque départementale du Val d'Oise
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Prologue
1. Le ravalement de façade
2. Catalogues, enrichissez-vous !
3. L'aventure du vivant : Cataloguer Internet ?
4. Fusions et confusions
Épilogue


0. Prologue

0.1 Remords

Je commencerais par deux remords.

L'ignorant visionnaire
Au cours des années 1980, alors que j'étais en compagnie d'une collègue examinateur d'un concours d'employé de bibliothèque, un candidat qui semblait n'avoir qu'une connaissance lointaine des bibliothèques dut répondre à la question : "Qu'est-ce qu'un catalogue de bibliothèque ?". Il expliqua qu'il s'agissait d'une sorte de brochure dans lequel les livres de la bibliothèque étaient décrits avec une photographie de leur couverture. Lorsqu'il eut tourné les talons nous nous gaussâmes ma collègue et moi-même d'un pareil ignorant confondant un catalogue de bibliothèque et un catalogue de vente par correspondance. Aujourd'hui je sais que c'était un visionnaire et que c'est lui qui avait raison car nous sommes exactement en train de proposer, sur écran, ce qu'il envisageait sur du papier.

Inintéressants, les catalogues ?
Mon second remords consiste à avoir déclaré en 1995
1, alors qu'on commençait à se demander ce que les bibliothèques publiques pourraient faire avec l'Internet : "Quoi de plus inintéressant sur Internet qu'un catalogue de bibliothèque ?", au motif que je continue à trouver pertinent que le catalogue n'est que la promesse d'une information, non l'information elle-même. Or je n'ai depuis cessé de m'occuper de la question des catalogues sur Internet.

0.2 A quoi serv(ai)t un catalogue ?

Les fonctions du catalogue (congrès de l'IFLA, Paris, 1961) :

Le catalogue doit être un instrument efficace permettant de s'assurer :

  1. Si la bibliothèque détient un livre déterminé, d'après :
    a) son auteur et son titre,
    b) si l'auteur n'est pas désigné dans le livre, son titre seul
    c) si l'auteur et le titre ne sont pas pertinents ou suffisants pour l'identification, un substitut approprié du titre
  2. quelles oeuvres d'un auteur déterminé et quelles éditions particulières d'une oeuvre déterminée sont localisés dans la bibliothèque

0.3 Les âges obscurs

  1. Le premier âge (Antiquité-années 1970) : La fondation
    • Établissement d'un cadre intellectuel
      • Éléments d'identification
      • Éléments d'indexation
        (distinction entre description et accès à la description)
    • le cadre structurel
      • La notice / La zone (ou champ) / La sous-zone (ou sous-champ)
      • L'unité bibliographique (éventuellement emboîtée)
      • L'unité matérielle
    • Les concepts de base
      • La zone (ou champ) / La sous-zone (ou sous-champ)
      • L'unité bibliographique (éventuellement emboîtée)
      • L'unité matérielle
    • Support matériel du catalogue
      • Registre, liste manuscrite, dactylographiées, imprimée
      • Fiches
  2. Le second âge (années 1970-années 1990) : L'informatique, outil de gestion
    • Maintien absolu du cadre intellectuel antérieur
    • Modélisation
      • Type
        • Formats propriétaires
        • Formats MARC
      • Usage
        • Format d'échange : développement des échanges bibliographiques
        • Format de saisie : complexification du catalogage
    • Amélioration des accès à la description
      • Multiplication potentielle des accès
      • Langages de requête
        • Opérateurs
        • Recherches multicritères
      • Traitements linguistiques
    • Interfaces pour la saisie et l'interrogation
      • Mode caractère
      • Interfaces graphiques
  3. Le nouvel âge (années 2000-?) : L'informatique, nouveau média
Ce nouvel âge est l'objet de la présente communication. On fera l'hypothèse qu'il existe et que nous avons commencé d'y entrer.

Il marque une étape de l'histoire de l'informatique appliquée aux bibliothèques. Le premier âge de l'informatique relevait du calcul, le second de la gestion. Nous en sommes à l'informatique d'information. Autrement dit : nous passons d'une informatique centrée sur le personnel à une informatique centrée sur l'utilisateur.

Ces différentes étapes s'ajoutent les unes aux autres bien sûr, et non se substituent l'une à l'autre. Le World Wide Web marque avec éclat ce passage.


1. Le ravalement de façade

Ce qui frappe d'abord dans les nouveaux catalogues, c'est leur interface. L'interface est une surface... mais on verra qu'elle n'a rien de superficiel.

1.1 La toile, vitrine des catalogues

Les catalogues s'affichent sur la Toile mondiale, qui est en train de devenir une galerie permanente des produits disponibles. L'OPAC Web tend à devenir la forme dominante des nouvelles interfaces. Il y a de bonnes raisons à cela.

Ces nouveaux OPAC ont deux ennemis : les bibliothécaires (une partie des bibliothécaires), les concepteurs de logiciels intégrés de bibliothèque (une partie des concepteurs). Ils ont un ami : le public.

Les bibliothécaires considèrent que la plupart de ces OPAC présentent moins de fonctionnalités que les interfaces traditionnelles. Ce n'est pas faux, du moins dans cette phase transitoire que nous vivons. Des concepteurs de logiciels regrettent que le Web, avec son protocole simpliste (requête-réponse) marque une régression dans les modes de traitement. C'est parfaitement exact. Mais le public, lui, qu'il soit celui des bibliothèques publiques ou des bibliothèques universitaires, plébiscite l'OPAC Web, parce qu'il plébiscite le Web. Aucun progrès ne se fait sans quelques régressions. Sachons en payer le prix, cela en vaut la peine. .

1.2 Une nouvelle convivialité ( nouveau - impossible)

C'est la grammaire du Web, la tactilité universelle du multimédia.

Elle ne va pas de soi puisque tout le monde ne manie pas naturellement une souris, mais c'est de plus en plus le mode dominant de dialogue homme-machine, qui est en train d'acquérir une suprématie écrasante. Entre le vieux mode caractère et le Web, il n'y aura bientôt plus rien, ou presque.

1.3 Un OPAC malléable et multimédia

Cet OPAC est malléable dans la mesure ou il s'écrit en HTML, la langue commune de la Toile. Tantôt il peut être redessiné, ou au moins réexprimé par la bibliothèque utilisatrice. Si bien qu'on voit un même produit méconnaissable d'une de ses métamorphoses à l'autre. Tantôt le fournisseur conserve le contrôle mais n'a guère d'excuse à procéder à de menues modifications qui sont vraiment l'enfance de l'art. Un langage commun ne crée pas un discours commun : il permet au contraire de former une infinité de phrases différentes.

Cet OPAC est multimédia : tout naturellement, le Web intègre le texte, l'image, le son. Le catalogue peut prendre des couleurs et se charger de messages non textuels : une révolution !

1.4 L'intégration

Le catalogue Web c'est

mais aussi et c'est dans les deux cas :

1.5 Des couches et des couches 2

La mise à disposition du catalogue sur une base Web repose sur l'adjonction, entre le poste utilisateur (le navigateur) et la base de données bibliographiques, d'interfaces assurant selon les cas :

Ces dispositifs reposent sur l'empilage de couches alternativement clientes et serveurs. Elles permettent de "servir" des catalogues y compris d'ancienne génération.

Le double avantage de l'unification de la convivialité et de l'interrogation multibase peut se payer d'une dégradation des temps de réponse.


2. Catalogues, enrichissez-vous !

Aujourd'hui les catalogues peuvent s'enrichir de données qui jusqu'ici n'avaient pas l'honneur d'y figurer. Le mouvement est double :

2.1 Des extraits du document

2.2 Des ressources associées

2.3 Le document lui-même

  • Nature
  • Usage

    Pour la première fois il y a continuité entre le catalogue et le document, obtention immédiate du document à partir de sa description. C'est un événement considérable. Les tiroirs de fichiers étaient des meubles spécialisés. Il y avait même des salles des catalogues. Maintenant le catalogue se glisse dans l'interface commune. Il fonctionne comme elle, donnant l'illusion d'un continuum. Et en l'espèce, l'illusion n'a rien d'une tromperie.

    Au total, on assiste à un double mouvement apparemment contradictoire :

    Cette dématérialisation n'est est pas une : les documents dits virtuels sont bien réels, puisqu'ils s'agit d'octets stockés sur des machines. Mais en mode client-serveur, seules des copies sont consultables par l'utilisateur, et c'est dans cette abolition de la distance entre "consulter" et "s'approprier" que surgit un redoutable problème de propriété.

    2.4 La révolution copernicienne

    A l'image de la Toile, qui permet
         à un poste client équipé d'un navigateur
              d'obtenir d'un serveur Web
                   des pages HTML
                   des images et du son
                   mais aussi, par l'intermédiaire d'une "passerelle", d'interroger une base de données
    la bibliothèque peut proposer
         à partir de postes clients équipés de navigateurs
              et d'un serveur Web
                   des pages HTML
                   des images et du son
                   mais aussi, par l'intermédiaire d'une "passerelle", d'interroger une base de données
    et finalement
         sur les navigateurs des écrans publics
              peut s'afficher une "notice" bibliographique composée
                   d'éléments issus de la réponse à une requête sur une base de données
                   et comprenant des liens permettant d'accéder à des pages HTML
                   éventuellement à de l'image ou du son

    D'une part le système intégré, considéré encore il y a peu comme le centre du dispositif automatisé de la bibliothèque, n'est plus qu'un élément parmi d'autres du service en ligne local ou à distance : c'est une révolution copernicienne. On est passé du système intégré à l'intégration de systèmes.

    D'autre part la "notice" bibliographique, telle qu'elle s'affiche pour l'utilisateur, peut être un lieu d'intégration de ressources en ligne mobilisant tous les dispositifs du Web et leurs périphéries (ce qui se cache derrière les interfaces).

    L'OPAC Web offre bien plus que les notices telles qu'elles sont stockées dans une base de donnée : il offre des liens avec n'importe quelle ressource accessible en ligne. C'est pourquoi j'ai mis des guillemets à "notice".

    Mais pour que tout ceci soit possible, il faut bien stocker dans la base de données des liens vers ces ressources. L'actuelle normalisation (les normes de catalogage, les formats MARC) le permet en partie, en partie seulement. C'est pourquoi, si l'on ne veut pas voir se multiplier les solutions propriétaires, ces normalisations doivent évoluer.


    3. L'aventure du vivant : Cataloguer Internet ?

    Internet est un océan chaotique. La question des outils de recherche est cruciale : les sites les plus visités sont les sites de recherche. Peut-on encore parler de catalogage et cela a-t-il une incidence sur la question générale des catalogues ?

    3.1 Le principe : accès direct

    Tous ces outils proposent bien sûr un accès direct à la ressource décrite : l'élément le plus important, c'est le lien.

    3.2 Trois problèmes

    Le signalement des ressources d'Internet pose des problèmes inédits. On était habitué à cataloguer des entités mortes : des unités finies, fixes et localisées. Nous nous trouvons devant le défi d'avoir à cataloguer le vivant.

    L'unité bibliographique

    Le catalogage repose sur la notion d'unité bibliographique. C'est au niveau d'une unité déterminée que s'établit la description. Avec la Toile, on est au contraire en face d'un magma de ressources aux contours indéterminés, communiquant avec d'autres à l'infini. Les unités isolables sont l'exception : c'est le règne des ensembles flous.

    L'instabilité temporelle

    Une quantité considérable de pages Web naissent et meurent chaque jour. Et bien de celles qui ne meurent pas changent, sont corrigées, mises à jour. C'est la plaisanterie classique du musée qui présentait en vitrine le crâne de Voltaire enfant. Certains catalogues de sites mentionnent à bon droit la date de la description.

    L'instabilité spatiale

    On peut décrire les URL comme un système de cotation. Mais sur la Toile les cotes bougent. Si bien qu'on a imaginé la notion de PURL (permanent ressource locator) ou d'URN (uniform ressource locator). Une des manifestations les plus abouties en est le DOI (digital object identifier), sorte d'ISBN de la ressource électronique en ligne, conçue pour servir également de point d'accès fixe à un document dont la localisation peut varier. Les éditeurs sont partie prenante de ce système, dont un des intérêts est pour eux de pouvoir y associer un guichet électronique : pour accéder il faut payer.

    3.3 Du catalogage aux métadonnées

    Si la ressource est électronique, pourquoi gérer un enregistrement distinct pour le décrire et lui donner accès ? Voilà l'idée des métadonnées (les Anglo-saxons disent metadata), ces données sur les données. Elle n'est pas si nouvelle ; voilà beau temps que délaissant le système des incipit on a inventé la page de titre, qui rassemble des éléments d'identification sur le document lui-même, voire le catalogage dans la publication, fût-elle imprimée. Mais la métadonnée électronique peut permettre de donner directement accès au document. Pourvu qu'un robot l'ait lu et construit automatiquement une base de données - on n'échappe pas la nécessité de l'information secondaire 4.

    Il y a des métadonnées communes, de plus en plus présentes sur la toile, et que des moteurs de recherche comme Altavista reconnaissent. Il suffit par exemple d'inclure dans l'en-tête d'un fichier Web une formule telle que :

    <META NAME="Subjet" CONTENT="catalogue, catalogage, catalographie, catalog, cataloguing">

    Dans un milieu qu'on qualifiera de bibliothécaire est né (à Dublin, Ohio, siège d'OCLC) le Dublin Core, série de quinze éléments propres à décrire une ressource électronique :

    <META NAME="DC.Subjet" CONTENT="catalogue, catalogage, catalographie, catalog, cataloguing">
    (voir le texte en anglais ou en français)

    La plupart de ces éléments nous sont familiers : auteur, titre sujet... Mais d'autres ne faisaient pas partie jusqu'ici de la tradition catalographique, comme la période de validité ou la gestion des droits. Encore l'économie.

    Les applications pratiques du Dublin Core sont encore assez peu nombreuses. On peut citer le réseau national [français] des bibliothèques de mathématiques.

    3.4 Un éventail de pratiques

    Il y a bien des façons de donner accès au chaos de la Toile. Voici une typologie pour en rendre compte :

    3.5 "Catalogage" ou catalogage ?

    Toutes ces pratiques sont l'oeuvre d'acteurs divers. Les bibliothèques n'y sont que pour une part mineure.

    On peut les exprimer en simplifiant ainsi : on bâtit tantôt de simples listes bibliographiques (les pages de liens), tantôt des catalogues simplifiés et non normalisés, tantôt de véritables catalogues normalisés : bref, toute la palette des techniques de référence et de description bibliographique est à l'oeuvre, même si certains en sont les Messieurs Jourdain.

    On remarquera que les bibliothécaires eux-mêmes ne sont pas forcément à l'origine des réalisations les plus abouties sur le plan documentaire, puisqu'ils se contentent le plus souvent d'établir des listes de liens, bref des listes bibliographiques, vérifiant ainsi l'étrange loi selon laquelle l'apparition d'un nouveau média suscite d'abord de leur part la mise en oeuvre d'une bibliothéconomie ancienne.

    Il importe en tout cas de distinguer, ce qui est rarement fait, entre

    • les moteurs de recherche, dont le plus célèbre est Altavista : ils reposent sur l'indexation automatique du contenu de pages Web
    • les annuaires ou répertoires de sites, dont le plus célèbre est Yahoo : ils décrivent des sites et non des pages et les ordonnent selon une classification arborescente

    Peut-on vraiment parler de catalogage ? Deux articles parus respectivement en octobre et novembre 1988 dans le Library Journal ont lancé ce débat. Dans Cataloguing the Net : Can We Do It ? Normann Oder montre que les bibliothécaires sont placés devant le défi d'une bibliothéconomie qui se développe par d'autres, comme Yahoo, et présente les efforts des bibliothèques pour un traitement documentaire de la Toile, avec des techniques diverses. Dans The Art and Science of Digital Bibliography, Roy Tenant répond que "le catalogage n'est pas une bonne métaphore" est qu'est entrain de s'inventer une nouvelle bibliographie adaptée à l'environnement numérique en réseau.

    A quoi répondait par avance Guy Teasdale dans sa Métachronique XML parue dans la Lettre du bibliothécaire québécois numéro 11, avril-mai 1998 en présentant les métadonnées, soulignait plaisamment qu'un traitement accéléré de ces données s'imposait puisqu'il faudrait, si l'on voulait cataloguer toute la Toile en format MARC, pas moins de 128 000 catalogueurs pendant un an !

    On peut autrement aborder la question : la Toile est-elle une bibliothèque ? Dans le numéro 1, 1999, de la FID Review n°1, 1999, José-Marie Griffith dans son article Why the Net is not a library répond explicitement par la négative, pour les motifs suivants : absence d'exhaustivité, absence de stabilité, absence de validation, catalogage minimal. Quelle que soit la pertinence de ces observations, on peut également soutenir que la Toile, toute chaotique qu'elle soit, constitue un terrain tout indiqué pour la mise en oeuvre des techniques documentaires : identifier, décrire, indexer, rechercher. Et si Internet est l'occasion de les réformer, pour aller par exemple vers davantage de simplicité, pourquoi ne pas en attendre un effet en retour vers le catalogage des médias plus anciens ? Rien ne serait pire en effet que de raisonner par support et de traiter systématiquement à part, autrement, les ressources en ligne. Le catalogage des documents en ligne est un catalogage comme un autre, mais qu'il pourrait bien révolutionner tout le catalogage.

    Retenons en tout cas que nous ne sommes plus seuls dans l'univers : nous assistons à une globalisation du monde de l'information où les bibliothécaires pourront de moins en moins maintenir des normes qu'ils sont les seuls à pratiquer et même à comprendre. On a pu vivre des décennies, voire des siècles sur des pratiques étanches entre éditeurs ou libraires et bibliothécaires. Sur la Toile, cette ségrégation ne tiendra pas longtemps. Plutôt que de maintenir leurs normes particulières, il leur faudra participer à la construction aux standards communs. C'est là qu'ils réinvestiront de la façon la plus efficace tout l'acquis de leurs techniques documentaires.


    4. Fusions et confusions

    4.1 Tout est-il catalogue ?

    Des "moteurs" partout

    Il y a sur la Toile des "moteurs" partout. Un nombre croissant de sites proposent ne serait-ce qu'une petite case "recherche". Il peut y avoir là beaucoup de confusion dans l'esprit de l'internaute. Tantôt il ne s'agit que de rechercher sur le site lui-même (souvent déjà à lui tout seul une jungle inextricable), tantôt d'interroger une véritable base de données structurée, par exemple le catalogue d'une société de vente par correspondance. Le public fait d'autant moins la différence que les réponses lui sont dans ce second cas reformatées à la volée en HTML, générant des pages qui n'existaient pas avant que la question ne soit posée.

    Cette distinction fondamentale entre Web statique et Web dynamique, entre indexation de pages existantes et interfaçage avec des bases de données, elle nous intéresse, nous professionnels de l'information, car elle implique des traitements techniques différents. Mais pour l'utilisateur, tout est fondu dans une soupe uniforme, et c'est bien ainsi.

    Tout est à vendre, ou à céder

    Dans cette profusion de moteurs, répertoires et catalogues, bien des objets et documents sont proposés, qu'ils soient électroniques ou tangibles - du torchon au livre. Gratuitement ou non. Le commerce électronique côtoie le service public électronique et les échanges non marchands. Les bibliothèques jouent leur petite partition dans ce grand concert cacophonique. A eux d'y prendre place, avec leurs catalogues.

    4.2 Unification ou diversification ?

    Nous avons fait l'hypothèse que les standards du Web s'imposent comme élément unificateur. Mais nous avons également décliné la variété des types de documents, donc des formats, auxquels ils donnaient accès. Y aurait-il à la fois unification et diversification ?

    Clients et serveurs

    Au niveau de l'utilisateur, l'unification tend à être totale. Une unification logique (le navigateur s'impose comme client universel au détriment des clients spécialisés) plutôt que matérielle (différentes plates-formes supportent ces logiciels).

    Mais derrière les serveurs Web, grâce à des interfaces spécifiques, la diversité peut se donner libre court.

    Formats des documents

    Pourtant on note une tendance à une unification partielle des formats de documents, en relation étroite avec le contexte du Web. Il peut s'agir des images fixes et animées, avec des formats tels que le GIF, le JPEG, le MPEG. Des formats de texte comme le RTF, véritable format d'échange du texte enrichi, ou le PDF, qui permet de reproduire à l'écran l'aspect d'un texte imprimé... et de l'imprimer.

    Mais plus puissant encore pourrait être l'émergence du XML (eXtented Mark-up Language). Permettant comme sa matrice le SGML la constitution de documents structurés transcendant et permettant leur édition sur des supports divers (la Toile, le cédérom, l'imprimé...), l'inclusion de documents annexes comme des images, mais aussi de liens hypertextes et hypermédias et d'indexations pour gérer les accès, il est appelé à être compatible avec le Web : il devrait être décodable par les prochaines générations de navigateurs. Autodocumenté, un enregistrement XML contient enfin les informations nécessaires au traitement de sa structure.

    Le format HTML, lui-même variante simplifiée de SGML, mettait l'accent sur la présentation plus que sur sa structure. L'émergence de XML, combinée avec les métadonnées avec lesquelles il est évidemment compatible, pourrait marquer une étape essentielle : celui ou le document se libère à la fois de ses manifestations matérielles et les logiciels permettant de le produire, de le rechercher, de le visualiser. Ce véritable standard ne peut pas ne pas reposer la question des catalogues.

    4.3 Le catalogage revisité

    Dans ce contexte chahuté, le cadre intellectuel dans lequel s'est construite la catalographie est évidemment menacé.

    4.3.1 L'ISBD : le code et l'ordre

    On se demande de plus en plus si l'ISBD a un avenir. Posons autrement la question : qu'y a-t-il à sauver dans les ISBD ?

    Le trésor ce sont les concepts, pas les codes
    Les ISBD, ce sont à la fois des concepts et des codes : le titre propre et le point-espace-tiret-espace. Ces codes sont obsolètes : ils n'ont de sens que dans un contexte non informatique. Les concepts, eux, demeurent, même s'il est permis de les remettre en jeu. Le "pavé ISBD" est une présentation compacte codée, immédiatement lisible par un bibliothécaire. Il répondait à un double souci d'économie : de temps (on a une façon de dactylographier une description bibliographique) et de place (tout doit tenir sur une fiche bristol de 75x150 mm) Il est permis de proposer sur écran autre chose au public, par exemple une présentation par libellé.

    L'ordre des données est-il incontournable ?
    L'intangibilité de l'ordre des zones et sous-zone répondait à la nécessité de lecture rapide par un professionnel. Rien n'empêche de moduler l'ordre des données en fonction du contexte, par exemple du type de document, de la nature de l'unité décrite (monographie, partie composante), de la question posée (rien n'est plus troublant pour l'utilisateur de ne pas retrouver dans la réponse les termes de sa question).

    4.3.2. Description et accès

    Stocker des données non indexées n'a plus guère de sens
    La limitation des accès répondait à des raisons d'économie : on ne pouvait multiplier les fiches bristol à l'infini. Distinguer encore clairement zones indexées et zones non indexées n'a, à mesure que la question de la taille des données perd de son importance, plus guère de sens. On peut à priori tout indexer, y compris les zones de notes. La distinction entre description et d'accès ne garde tout son sens qu'en ce qui concerne les accès contrôlés - les autorités, qui supposent de lier des notices bibliographiques à des notices d'autorité.

    Les systèmes gèrent des accès et génèrent des affichages
    En catalogage manuel, on montre toutes les données, qu'on duplique in extenso pour chaque accès. En catalogage informatisé, rien n'empêche de n'afficher, en réponse à une question, que les données l'intéressant dans ce contexte, tandis qu'un système de fichiers d'index, créés automatiquement ou contrôlés par une gestion d'autorité. Cataloguer n'est plus donc saisir tout ce qui sera toujours montré et sélectionner quelques accès, c'est stocker un ensemble de données destinées selon les cas à être affichées ou traitées automatiquement pour effectuer contrôles et statistiques.

    4.3.3. Catégories catalographiques

    Nous avons présenté les concepts définis dans les ISBD comme un trésor. Celui-ci peut s'enrichir. On a vu que les métadonnées proposaient des notions nouvelles. Dans le cadre du programme de contrôle bibliographique universel de l'IFLA, les résultats d'un groupe de travail a été publié sous le titre de Spécifications fonctionnelles pour les notices bibliographiques (Functionnal requirements for bibliographic records).

    Ce document présente un effort de conceptualisation pour dépasser le cadre actuel des catégories bibliographiques sur le modèle entité-relation. Il n'a pas encore trouvé d'application pratique mais aucune réflexion sur l'avenir du catalogage ne peut ignorer son apport. On notera particulièrement :

    • la distinction entre l'oeuvre (work), par exemple L'Art de la fugue de Bach, l'expression, par exemple son arrangement pour orchestre de chambre, et la manifestation, par exemple son édition phonographique sur disque compact en 1991 ;
    • la déconnexion entre un type d'entité et la fonction qui lui est attribuée pour telle oeuvre, expression ou manifestation, ce qui permet par exemple de gérer une seule forme relative à une personne physique, qui peut par ailleurs être auteur, sujet ou éditeur d'un document.

    4.3.4. Les autorités condamnées ou sauvées par l'économie ?

    Les catalogues sont de plus en plus constitués, ou devraient l'être, de données importées de sources diverses. Les dispositifs d'accès simultanés à des catalogues multiples sont appelés à se développer. Voilà deux raisons qui peuvent paraître condamner à termes les autorités, dont la gestion se révélerait à la fois de plus en plus coûteuse (comment maintenir à toute force une cohérence quand les sources d'un catalogue sont multiples ?) et inutiles (à quoi sert la cohérence quand les catalogues interrogés simultanément ne le sont pas ?).

    Si la question demeure pour les noms communs sujets, la gestion normalisée des personnes physiques et des colelctivités pourrait bien apparaître pour des raisons juridiques (protection et gestion des droits), c'est-à-dire finalement économique, avec des numéros d'identifications internationaux. Le monde des bibliothèques est déjà saisi par celui de l'édition des premières tentatives en ce sens.


    5. Épilogue

    5.1 Le catalogue en question

    Le catalogue change

    Tous ces changements sont inextricablement liés.

    5.2 Le catalogue, symptôme d'une remise en jeu

    Les catalogues de bibliothèques sont au coeur du cyclone, touchés de plein fouet par la globalisation qui remet en cause cloisonnements et spécificités et voient s'affronter ou s'accorder bibliothécaires et marchands, service public et économie.

    5.3 Triomphe du catalogue ?

    S'il est permis grâce à la normalisation de voir sinon disparaître du moins se réduire considérablement le temps passé au catalogage, tant il est absurde de peaufiner avec perfectionnisme, dans chacune de nos bibliothèques la description des milliers de clones que nous acquérons, le catalogue pourrait bien être de plus en plus central, et pour utiliser un terme en vogue sur la Toile, devenir le vrai portail de la bibliothèque de demain.


    Notes
    1 Internet et les nuls : Que viennent faire les bibliothèques publiques dans la société de l'information ?, in : Bulletin d'informations de l'ABF n°169, 1995.
    2 Voir http://www.lahary.fr/pro/1999/catweb
    3 L'accès à un cédérom depuis un navigateur nécessite un interfaçage spécial.
    4 Pour accéder rapidement à des données à partir de mots, il faut au moins un fichier d'index. L'accès séquentiel, qui repose sur la lecture intégrale de l'ensemble des enregistrements, n'est supportable que sur un corpus réduit.
    5 Les formats USMARC puis UNIMARC se sont récemment enrichis de la zone 856, explicitement dédiée à la gestion du lien à une ressource électronique en ligne.
    6 Intégrer la descriptions de quelques sites Web dans le catalogue d'une collection locale pourrait paraître étrange. Alain Pansu, le directeur de la médiathèque Les temps modernes de Taverny (Val d'Oise), justifie ansi cette démarche : " Je veux que quiconque pénètre dans la médiathèque avec une question en ressorte avec la réponse. Celle-ci se trouve peut-être dans un document disponible sur nos rayonnages, et peut-être sur Internet."