Association mon miroir ? Message de Dominique Lahary à la liste de diffusion biblio-fr, 02/11/2000

Une polémique récente qu'il est sage de considérer comme close a suscité , au détour de messages postés à biblio-fr ou dans des cercles plus restreints, deux types de réactions qui m'inquiètent :
- mise en cause d'une association ("puisque c'est ainsi je rends ma carte" ou "je ne la reprendrai plus"),
- mise en cause nominale d'un collègue.

Faut-il donc qu'une association exprime à tout moment l'intégralité de ce que je pense, incarne la liste complète des valeurs auxquelles je suis attaché, se comporte sans relâche et en toutes occasions exactement comme j'estime qu'on doit se comporter ?

N'est-il pas plus réaliste de considérer qu'il n'y a jamais d'adéquation complète, qu'on adhère aussi pour participer aux débats internes, qu'on peut s'opposer à tout moment sur tel ou tel point, qu'on peut même être minoritaire avec bonheur ?

Quand je lis ou entends "l'Association X pense que" ou "a le tort de" je me demande de quel être étrange on parle, doué d'une pensée autonome et d'une personnalité propre. Non cette association, c'est aussi vous, si vous le voulez. Et si vous le voulez, vous pouvez y rendre la parole, participer à ses assemblées générales, vous présenter à ses instances élues, bref être pour quelque chose dans son action et ses prises de position, ce qui signifie accepter par avance que les positions et activités finalement décidées ne soient pas la copie conforme de ce que vous souhaitez.

Ces personnifications monolithiques n'ont d'ailleurs rien à voir avec le fonctionnement réel des associations, qui peuvent être organisées en différentes instances et dont les positions peuvent varier ou évoluer.

Il est certes infiniment respectable que certains collègues choisissent délibérément de ne pas s'encarter, de ne participer aux débats professionnels qu'à titre exclusivement personnel. Je ne suis même pas loin de penser que ces positionnements sont utiles.

Mais si l'on a joué la carte de l'adhésion à une association, cela signifie que par avance on accepte d'être contredit.

Quant à la mise en cause nominale de responsables, au-delà du légitime débat d'idée, elle me paraît injuste. S'engager dans des responsabilités associatives, à titre bénévole et en sus de ses obligations professionnelles, mérite par principe le respect.

J'ajoute que ce type de responsabilité n'est pas facile à exercer dans une association professionnelle. On est notamment soumis à une double injonction : représenter une identité collective et agir efficacement face à des partenaires extérieurs. Dans cet exercice, on a toujours à tout moment tort pour quelqu'un. La représentation identitaire, dans sa logique interne, se moque de l'efficacité (c'est le côté miroir).
L'action vis-à-vis de partenaires ne va pas sans recherche de compromis, quelle que soit la légitime fermeté des positions défendues. Chacun sait que ces cinq dernières années ont été à cet égard particulièrement périlleuses et cela devrait continuer dans les mois qui viennent.

Enfin, s'exprimer au nom d'une association n'est pas s'exprimer à titre personnel, je vais jusqu'à penser qu'on peut faire les deux contradictoirement.

Biblio-fr, qui est un média que d'autres médias reprennent, donne un espace au débat, voir à la polémique, et c'est très heureux. La période est complexe, les défis sont nombreux, nous n'avons guère besoin de nous endormir dans le consensus.

A côté de l'expression individuelle à laquelle biblio-fr est particulièrement adaptée, existent également des outils d'expression et d'action collective. Prenons-les pour ce qu'elles sont. Et, si nous le voulons, soyons-en.

(Ceci vaut aussi pour les syndicats et les partis, mais ce sont deux autres histoires...)

---
M. Dominique LAHARY
(s'exprimant à titre personnel)