Pour l'ABF, de A à Z

par
Dominique Lahary
Bibliothèque départementale du Val d'Oise
in : BIBLIOthèque(s) n°2, mars 2002

On m'a demandé un article personnel et rétrospectif sur l'ABF. Sans doute parce que j'étais déjà né en 1906 et que j'ai vécu sa création. Un sacré moment. Non, je blague. Je ne sais plus quand j'ai adhéré, peut-être peu après mon entrée dans la profession en 1977, mais je n'en jurerais pas. Je n'ai vraiment commencé à y militer qu'en 1989, sur la suggestion d'Alain Pansu qui, alors que j'étais directeur de la bibliothèque municipale de Vanves, avait pris contact avec moi pour héberger une journée d'étude en marge du Salon du livre qui, pour la première fois, se tenait à la Porte de Versailles.

Mais mon premier contact avec l'association date de 1975 : préparant le CAFB(1), je cherchais un travail et fus embauché comme employé à mi-temps par la section des bibliothèques publiques. Elle soldait alors les derniers comptes du terrible différend qui l'avait opposé aux tenants de la bibliothèque de secteur et je découvrais sans trop en comprendre alors les tenants et aboutissants combien des débats professionnels pouvaient s'envenimer en querelles personnelles.

Que tirer de ce bon quart de siècle en 15 000 signes ? J'ai opté pour un classement alphabétique par matière.

Adhérer

" Mais que fais donc l'ABF ? "," Je ne suis pas d'accord avec l'ABF et je n'adhère plus " : ces petites phrases ont le don de m'agacer. L'ABF, c'est vous, c'est nous tous, si nous le voulons. Trois mille adhérents sur quelque 25 000 personnels dans les bibliothèques : nous sommes loin du compte et cette abstention volontaire prive l'association de moyens d'agir à la hauteur de bien de ses homologues européens. Adhérer c'est consentir à ce geste minimal qui permet à la profession d'exister sur la place publique. D'accord ? Pas d'accord ? Mais participez donc aux débats ! Depuis quand une association doit être le miroir fidèle(2) des convictions de chacun de leurs membres ?

Je suis toutefois persuadé que la raison principale de ce bas niveau d'adhésion, c'est cette démocratie par délégation à quoi nous nous abandonnons dans bien des domaines. Ils militent et cotisent pour nous, c'est toujours ça de pris. Les bibliothécaires, qui travaillent pour la plupart dans le service public, prennent volontiers leur association pour un service public.

Il y a aussi cette idée qu'il suffit d'un adhérent par bibliothèque pour avoir l'information - radinerie à la petite semaine. Ou que c'est l'affaire du chef et de lui seul. Ou que c'est à l'établissement d'adhérer : j'approuve les collègues allemands qui distinguent clairement entre associations de personnes et associations d'institutions et souhaite la suppression de cette phrase de l'article 3 des statuts de l'ABF : " Peuvent être admis comme membres associés, les bibliothèques de statut public ou privé, les organismes publics ou privés, les établissements publics, les établissements d'utilité publique, les associations déclarées conformément à la loi du 1er juillet 1901, les sociétés civiles et les sociétés commerciales s'intéressant à l'activité de l'association. "

Il y a la réduction de l'association à son Bulletin et l'idée que du moment que la bibliothèque est abonnée, ses salariés sont suffisamment reliés à l'association.

Il y a enfin l'attitude consumériste de ceux qui considèrent l'ABF comme un prestataire de service, dont on fréquente les journées d'étude comme on ferait de celles de n'importe quel organisme de formation.

Associations

Si l'ABF a vocation à réunir tous les bibliothécaires, elle n'a pas à détenir le monopole de leur représentation ni en constituer leur seule forme d'organisation. D'autres associations spécialisées ont toute leur place, et leur efficacité ciblée. Mais seule l'ABF réunit des personnels de tous les types de bibliothèques et de toutes les catégories. Elle est notre maison commune.

Bulletin

Le Bulletin d'informations de l'ABF portait un drôle de titre qui sent la feuille ronéotypée qu'il fut autrefois. Il paraît qu'un autre titre le remplace, ce qui va plonger les catalogueurs dans le doute : Devient ? Est remplacé par ? Succède partiellement à ? Il représente en tout cas avec le Bulletin des bibliothèques de France (que voulez-vous, dans les bibliothèques, on bulletine !), l'une des deux seules revues professionnelles généralistes sur les bibliothèques et la seule qui ne soit pas publiée par l'État : c'est irremplaçable.

Congrès

Ce point culminant de l'année de l'ABF est un faisceau de rites. Les hommes ont besoin de rites.

Il y a le rite des interventions sur le thème du congrès. Contenus plus ou moins solides, orateurs plus ou moins doués, mais le niveau général est bon et les actes de bonne tenue.
Il y a le rite de la matinée avec les représentants des tutelles, où la satisfaction d'être reconnu des représentants de l'État l'emporte sur le désir d'en découdre.
Il y a le rite des assemblées générales et des motions.
Il y a le rite du salon professionnel ; que bien des fournisseurs ne voudraient manquer même s'ils ne rentrent pas vraiment dans leurs frais.
Il y a le rite de la soirée de gala, repas et danse, parce que les bibliothécaires aussi ont besoin de fêtes.
Il y a surtout les rencontres, ce ceux que l'on connaît, ce ceux dont on fait connaissance, des bibliothécaires, des fournisseurs.

Un congrès c'est 2 à 400 participants : c'est peu sur les 3000 adhérents, sur les 25 000 bibliothécaires. Le rassemblement d'une heureuse minorité.

Démocratie

Les élections ont lieu le plus souvent par correspondance avec une faible participation. Les candidats y sont souvent en nombre égal ou à peine supérieur au nombre de postes à pourvoir et se présentent au pire sous leurs simples noms et qualités, au mieux par quelques lignes ne tenant guère lieu de programme. Les assemblées générales rassemblent une minorité encore plus étroite qui adopte rapports d'activité financiers et d'orientation à la quasi-unanimité.

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Une association professionnelle ne fonctionne pas comme un parti politique ou une nation. Les débats ne se cristallisent pas en courants. Derrière l'unanimité des votes rituels, des débats naissent et vivent. C'est une démocratie paradoxale, mais une démocratie tout de même. Si problème il y a, il n'est tant dans la confiscation du pouvoir par un quelques-uns mais dans le petit nombre des candidatures et des bonnes volontés.

Fournisseurs

Qu'ils fréquentent ou non les congrès de l'ABF, les fournisseurs des bibliothèques forment une communauté parallèle. Ils ont appris à parler le bibliothécaire, ils se sont habitués aux manies et obsessions de leur clientèle. Il y a parfois des transfuges dans un sens ou dans l'autre. C'est lors des congrès que se manifeste le mieux ce commerce, à tous les sens du terme. Vive le commerce !

Hiérarchie

L'ABF est ouverte à toutes les catégories. Mais plus on monte dans la hiérarchie des grades et des fonctions, moins il y a de monde dans les bibliothèques et pourtant plus on a statistiquement de chance d'être adhérent, plus encore d'être élu dans un conseil de groupe, de section ou national, plus encore d'être membre d'un bureau, plus encore d'être Président de l'ABF. Ses présidents ont toujours été des conservateurs. Que nous réserve le vingt-et-unième siècle ? A vous tous d'en décider.

International

L'intérêt pour l'action internationale est traditionnellement faible au sein de l'ABF. On est tout content de trouver un spécialiste de l'international, comme on est soulagé de se reposer sur un trésorier. Il faut rendre hommage aux collègues qui s'engagent au sein de l'IFLA (International fédération of library associations and institutions) mais il faut reconnaître que l'ABF en tant que telle n'y est guère active. Puissions-nous sortir de notre hexagonalisme !

Interprofessions

Peu doués pour l'international, nous ne brillons guère plus dans les relations interprofessionnelles. Nous sommes, nous devrions être engagés dans deux interprofessions différentes : celle de la documentation, avec les documentalistes et les archivistes ; celle du livre avec les auteurs, les éditeurs, les diffuseurs et libraires. Il y a pourtant bien des choses à faire avec les uns et les autres, qui mériteraient chacun un numéro entier de la présente publication.

Loi

On dit " la loi " sans préciser laquelle ni rappeler qu'elle n'existe pas. C'est la loi sur les bibliothèques, que nous appelons de nos vœux depuis plus d'un demi-siècle. Elle nous permet, dans les assemblées générales ou face à un représentant des tutelles, de prendre soudain un air grave. Tel l'horizon, elle recule à mesure que nous avançons. N'est-ce pas très bien comme ça ?

Militer

Tout militant agit d'abord pour lui-même. Militer à l'ABF, c'est élargir son expérience, ses connaissances, ses compétences, c'est se tisser un réseau de relations professionnelles et personnelles irremplaçable. C'est échapper aux limites de son propre établissement ou le prolonger. C'est confronter, vérifier, mettre à l'épreuve ses convictions et ses acquis. Les bibliothécaires ont une chance extraordinaire : ils disposent s'ils le veulent de réseaux professionnels puissants, dont bien des métiers des fonctions publiques sont dépourvus. Il faut s'en servir ! Responsables d'établissements, laissez vos collaborateurs militer à l'ABF. Votre service ne peut qu'y gagner.

Militer à l'ABF c'est aussi bien sûr agir pour l'utilité publique, et le label dont jouit l'association n'est pas un vain mot. Il faut rendre hommage à tous ceux qui ont donné ou donnent un peu, beaucoup, passionnément de leur énergie et de leur temps pour organiser des journées d'étude ou un congrès, étudier des dossiers et les défendre, analyser, expliquer, rédiger, convaincre, alerter. Activité tantôt gratifiante et visible, tantôt austère et obscure. Car militer, c'est aussi faire des enveloppes ! Mais il faut rendre un hommage tout particulier à ceux qui acceptent de prendre des responsabilités, d'être président, secrétaire, trésorier d'une des structures de l'association, de prendre cette charge-là, ce risque-là.

Militer à l'ABF, c'est être membre d'un conseil, d'un bureau élu de groupe régional de section ou d'échelon national. Mais c'est aussi être membre d'un groupe de travail régional ou national. Ou simplement apporter son concours ponctuel ou régulier à telle ou telle activité.

Militer à l'ABF ce n'est pas trouver un substitut à l'action syndicale ou politique. C'est un engagement professionnel, simplement professionnel. C'est sa grandeur et sa limite.

Il y a pourtant une dimension politique incontestable, qu'avait soulignée Gérard Briand dans sa première intervention en tant que président de l'ABF lors du congrès de Metz en mai 2000(3). C'est que les bibliothèques, du moins une grande partie d'entre elles, sont investies de missions de service public. Nous aimons à dire qu'elles sont une condition de l'exercice de la démocratie, ce qui n'est pas faux, même si tout ne se réduit pas à cette analyse.

Aujourd'hui, les conditions dans lesquelles les bibliothèques exercent ses missions sont remises en jeu dans le cadre du développement de l'information numérique en réseau. Il va falloir beaucoup militer pour que les intérêts du public soient préservés !

Moments forts

Quand j'essaie de me remémorer ces quinze dernières années d'ABF, deux moments forts me sautent à la figure. Plus que des moments, ce sont des cycles, des périodes, des batailles. Et ce sont deux batailles non pas vraiment perdues, mais à l'issue complexe. Deux batailles, d'ailleurs, qui ne sont pas achevées : celle des statuts, celles du droit de prêt.

Ah, les statuts ! Cette affaire nous a obsédés jusqu'à la nausée. Tout a déjà été dit et écrit sur cette affaire, encore que la documentation soit bien éparpillée. Elle a vu ce qui n'est pas si fréquent les bibliothécaires défiler dans la rue, banderoles syndicales et associatives mêlées. Que de motions, de communiqués, d'entrevues avec les uns et les autres. Que d'infinie patience pour sublimer notre impatience. Et ce crève-cœur qui perdure : Pourquoi ? Pourquoi un tel gâchis, pourquoi un système à ce point à côté des besoins, des nécessités ? Pour moi l'affaire des statuts aura été une formidable leçon de choses. J'ai vu de près travailler l'État. Il faut remiser Hegel et se rabattre sur les sociologues : l'État n'est pas la réalisation de la Raison mais plutôt un appareil composite qui arbitre en fonction de rapports de forces internes. Et se permet de violer le terrain sans être éclaboussé par lui. Un certain arbitrage boiteux a été rendu en 1991 par Matignon. Ces gens ne sont plus là. Nous, nous y sommes toujours, et les nouvelles générations de bibliothécaires viennent se briser contre le mur des concours.

Quant à l'affaire du droit de prêt, elle a mobilisé les passions et révélé, pourquoi ne pas le reconnaître, des divergences entre nous. Je n'imaginais pas pour ma part que l'affaire se termine autrement que par un compromis. Toutes les positions sont utiles, y compris celles qui campent sur des principes intangibles. Mais la chaîne du livre a besoin de se retrouver. Nous n'en représentons qu'une partie.

Motion

La motion, c'est l'émotion. C'est la vertueuse indignation du moment ou du siècle, la conviction constante ou vite oubliée. Dans une assemblée générale, la discussion et le vote des motions est un moment de souffle, de panache ou de confusion. L'unanimité est écrasante ou éclate en morceaux. Le catalogue de nos motions c'est celui des combats perdus et des causes permanentes, des manies d'un temps et des obstinations inoxydables.

Sexe

L'ABF est ouverte à tous les sexes. Mais plus on glisse du féminin au masculin, moins il y a de monde dans les bibliothèques et pourtant plus on a statistiquement de chance d'être élu dans un conseil de groupe, de section ou national, plus encore d'être membre d'un bureau. Que nous réserve le vingt-et-unième siècle ?

Temps passé, temps donné

Le temps passé pour l'ABF est-il du temps de travail ? Question réglée le plus souvent dans le silence. Elle explique pourtant largement la surreprésentation des responsables d'établissement, dont on peut penser qu'ils disposent plus librement de leur temps.

Défendons l'idée que l'engagement dans l'ABF est formateur et profite à l'établissement, même si on n'échappe pas à un engagement sur son temps personnel.

Unité de la profession

Bien sûr, il y a bien des fonctions, biens des spécialisations, bien des particularismes, certains pourquoi pas disent bien des métiers dans les bibliothèques, et bien des bibliothèques différentes. Il y a pourtant une unité de la profession, parce qu'il y a une convergence fondamentale dans les missions des différents établissements parce qu'idéalement l'ensemble des bibliothèques sont complémentaires et solidaires. Cette unité de la profession, l'ABF est l'institution la mieux placée pour l'incarner non pas symboliquement, mais réellement, massivement.

Zut

Zut, il faut conclure. Vous l'avez compris ? Si ce n'est pas fait, adhérez, réadhérez ! Vous obtiendrez un bulletin d'adhésion en ligne sur le site web de l'association (http://www.abf.asso.fr) ou en écrivant à ABF - 31, rue de Chabrol - 75010 PARIS.


Notes

(1) Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire. Diplôme d'Etat condamné à mort par l'Etat en 1992 et exécuté en 1994.

(2) Voir Dominique Lahary, Association mon miroir, message à biblio-fr du 6 novembre 2000, http://listes.cru.fr/arc/biblio-fr@cru.fr/2000-11/msg00014.html.

(3) Bulletin d'informations de l'ABF n°188, 3ème trimestre 2000.


Publié en ligne par Dominique Lahary