Il faut qu'une profession soit ouverte ou fermée
Message de Dominique Lahary à la liste de diffusion biblio-fr, 11/04/2002
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Le présent texte comporte des rectifications orthographiques par rapport à celui posté sur biblio-fr

Jean-Paul Gaschignard avait en réaction à un article paru dans Livres- Hebdo lancé un intéressant débat sur la profession, suivi de vigoureuses et intéressantes répliques tous azimuts.
Voir : " Formation et recrutement : le dossier s'épaissit " par Claire Nilus, in Livres-Hebdo n°461, 15 mars 2003 ; " Et si les candidats étaient peu nombreux à venir frapper aux portes des bibliothèques... " : [entretien de Claire Nilus avec Alain Scrève], ibid ;
et dans les archives de biblio-fr :
http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-03/msg00161.html
http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-03/msg00179.html
http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-03/msg00193.html
http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-03/msg00204.html
http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-03/msg00215.html

Ce débat s'étant endormi, j'ai envie de le relancer par un bout.

Une des pommes de discorde était la question des concours généralistes ou non, à partie de la position d'Alain Scrève, responsable de formation à la délégation de Champagne-Ardennes du CNFPT de Champagne-Ardennes, qui aurait coordonné l'ébaloration d'un référentiel sur les métiers de bibliothécaire.

Je dirais tout d'abord que ce travail doit être rendu public. Il existe aujourd'hui un mode de publication simple et bon marché, assurant une diffusion maximale : le web. Pour ma part, je n'ai pas a priori à douter du sérieux de ce travail et souhaite vivement en prendre connaissance.

Ce qui m'a frappé, à la lecture de certaines contributions, c'est l'opposition implicite entre ouverture et professionnalisme. C'est la cristallisation implicite du professionnalisme autour de savoir, de référentiels, d'activités absolument spécifiques aux bibliothécaires, connus d'eux seuls et dont seuls ils peuvent apprécier l'importance, voir en connaître l'existence et la dénomination, généralement sous forme d'acronymes.

Plutôt que de répondre spécifiquement à telle intervention, au risque de faire d'inutiles procès d'intention, je souhaiterais répondre à cette identification professionnelle implicite qui me paraît très forte.

J'ai participé activement à la mobilisation pour la professionnalisation des concours territoriaux, et ne renie pas cet engagement. Mais il arrive qu'il m'effraie. Un temps j'ai cru qu'il fallait passer une alliance tactique avec les tenants d'une culture professionnelle fermée, centrée sur le document plutôt que le public, sur la description du document plutôt que sur ses contenus intellectuels, culturels et informatifs. " Les catalogueurs, avec nous " pensais-je. Mais je ne le crois plus. Les deux débats doivent être menés parallèlement. Professionnaliser, oui. Mais sur quelles bases ? Il faut le dire en même temps.

L'angoisse démographique heureusement distillé par l'Étude démographique sur les emplois de bibliothèque (ministère de la Culture, ministère de l'Éducation nationale, CNFPT, 2001) (voir http://www.adbdp.asso.fr/spip.php?article578) devrait nous conduite à poser deux questions cruciales : Quelle image voulons-nous donner de la profession ? Qui voulons-nous y attirer pour relever ce terrible défi démographique ? Voilà pourquoi je reprends à mon compte l'interrogation d'Alain Scrève : " Et si les candidats étaient peu nombreux à venir frapper aux portes des bibliothèques... ".

Je me contenterai de mettre le projecteur sur trois thèmes avant de conclure.

Le premier c'est celui des publics et de la médiation. Certains parmi nous ont vécu comme une dépossession, comme une concurrence, le fait que la médiation ait fait l'objet de profils de postes pour des " métiers nouveaux " tels que les emplois jeunes [je laisse de côté ici les légitimes interrogations des intéressés sur leur statut et leur avenir]. Mais quelle place ont vraiment ces questions dans nos formations professionnelles ? Dans nos littératures professionnelles ? Quelle place ont-elles dans notre temps de travail ? Je propose prudemment le mot " insuffisante ". Dans bien des cas, c'est un euphémisme.

Le second thème c'est celui des techniques documentaires. Nous avons laissé se constituer un corpus de techniques et de référentiels, extrait des techniques documentaires mais soigneusement clos, refermé sur lui-même, inconnu du reste du monde et coupé de son substrat informatique. Je fais un rêve : celui qu'on enseigne dans nos formations professionnelles les véritables techniques documentaires, les fondamentaux : qu'est-ce qu'une base de données, comment fonctionnent les outils de recherche, sur Internet par exemple. Bref, des techniques documentaires mondialisées, qui sot moins que jamais l'apanage d'une seule profession.

La bibliothéconomie n'est rien d'autre qu'un carrefour de savoirs, de techniques, de contextes et d'habitudes. Elle ne vaut qu'ouverte à tous les vents. Les publics et la médiation (et pas seulement en lecture publique !), les contenus (qui se déclinent en spécialisés diverses), les véritables techniques documentaires de base, les missions et leurs fondements politiques, l'aménagement du territoire, et j'en passe : il y a largement dessiner les contours d'une profession qui ne survivra qu'ouverte à la société et à ses techniques.

Qu'elle n'ait pas peur de la fragmentation : tout cela se décline nécessairement en spécialités constantes ou mouvantes. Quelle accepte la confrontation, la cohabitation avec d'autres métiers y compris au sein d'un même établissement.

Le professionnalisme, d'accord. Mais ouvert, s'il vous plaît, ouvert.

PS :
1. J'approuve en tout cas Alain Scrève pour avoir dit à propos des " critères de recrutement fixés par les employeurs " : " la connaissance de telle procédure aisée à acquérir après le recrutement doit-elle être privilégiée à des aptitudes plus large ou à des connaissances théoriques dont l'installation est plus longue ". J'en donne un exemple récurrent : la fréquence de la référence à la connaissance de tel logiciel particulier de gestion de bibliothèque dans les offres d'emplois. Quelle chance au contraire de pouvoir recruter quelqu'un qui a connu au moins un autre logiciel, et qui aura donc un recul, une expérience à apporter ! C'est cela aussi, l'ouverture.
2. L'auteur de l'article de Livres-Hebdo, qu'il faut féliciter pour avoir relancé le débat, me fait dire : " Depuis la disparition du CNFPT, rien n'a été mis en place par le CNFPT pour former les bibliothécaire jeunesse ou musique ". Pourtant j'ai toujours refusé d'imputer au seul CNFPT ce qui relève avant tout de décisions de l'Etat. C'est la réforme statutaire de 1992 qui a produit le paysage de la formation professionnelle que nous connaissons. C'est l'ensemble du système de formation initiale et continue qu'il convient de réexaminer, et non la seule partie gérée par le CNFPT dans le cadre des règles mises en place par le pouvoir exécutif d'Etat.

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M. Dominique LAHARY
Mél professionnel : dominique.lahary@valdoise.fr
Mél personnel : dominique.lahary@voila.fr
Bibliothécaire s'exprimant ici à titre personnel


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