Concours de biblio-colère
Message de Dominique Lahary à la liste de diffusion biblio-fr, 04/03/2003
Le premier paragraphe comporte deux rectifications par rapport à celui posté sur biblio-fr
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Message 2 | Message 3 de Dominique Lahary

Lundi 3 mars, sur le site du CNFPT, on a pu observer un phénomène étrange : pour l'énorme région Île-de-France-Centre, 20 admissibles à l'écrit du concours interne de bibliothécaire territorial (spécialité Bibliothèques) pour un total de 27 postes.

On admet généralement comme admissible deux fois plus de candidats qu'il n'y a de postes. cela nous donne 54 admissibles. 20, c'est un déficit de 34, c'est 37% du total qui aurait pu être admis selon l'usage, c'est ENORME. Vraiment mauvais, ces candidats !

Ben non. Autant vous le dire, j'en connais un certain nombre. Et j'accorde vraiment peu de crédit à un système de sélection qui écarte des gens comme ça, qui chaque jour donnent le témoignage de leurs compétences et de leur efficacité.

Certes, le décret 91-845 (http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/MSHIU.htm) stipule qu'on reçoit deux tiers au moins d'externes contre un tiers au plus d'internes, le taquet se situe d'un côté et pas de l'autre. Rien d'irrégulier. Mais quel déséquilibre ! Pour la première session du concours " professionnalisé " c'est une belle réussite : les internes sont laminés.

Je ne veux certes pas opposer les uns aux autres, une grande place doit être faite aux jeunes et moins jeunes qui arrivent, dont beaucoup se sont formés, qui ont parfois déjà une expérience n'atteignant pas les sacro-saints quatre ans consécutifs. Mais 2/3 contre 1/3 c'est déjà pas mal. C'est vraiment bizarre, tous ces internes laminés. Quand vous les connaissez, je vous jure que c'est vraiment bizarre.

Je me suis déjà exprimé sur l'épreuve professionnelle interne dite de cas pratique (http://listes.cru.fr/wws/arc/biblio-fr/2002-12/msg00061.html) : un ridicule dossier obsolète de changement de version de logiciel, que le fournisseur cité bien malgré lui a publiquement dénoncé. Qu'est-ce que ça veut dire, avoir une bonne ou une mauvaise note à une épreuve pareille ?

Quant à la note de synthèse de l'option " sciences humaines ", choisie par la plupart, elle était du genre infaisable, énorme (40 pages de dossier pour une épreuve de 3 heures), hautement conceptuelle (sur l'histoire et l'avenir des sciences humaines). Les internes ont été laminés. Je l'aurais été.

Et l'épreuve professionnelle externe (questionnaire) : une abomination. La bibliothéconomie réduite à l'administration. Il fallait voir le corrigé. Je l'ai vu puisque j'étais correcteur. Il en rajoutait encore une couche si la chose était possible en matière de petit bout administratif (et étatique) de la lorgnette. Inapplicable. J'aurais été collé.

Je suis heureux à l'avance pour ceux qui seront reçus mais ce concours est une catastrophe. Il faudra publier ces sujets d'épreuves, ces corrigés, pour l'édification des foules.

Bien sûr, les concours vont disparaître un jour. Ils sont une survivance, une anomalie, un système qui n'a pour équivalent que les concours mandarinaux de l'Empire chinois, abolis en 1911. Et quand ils disparaîtront, on en tirera des avantages mais aussi des inconvénients.

Mais l'inertie des institutions est grande. C'est pourquoi, pour une durée qu'il est impossible de prévoir, ils sont là, et il faut vivre avec. C'est une question globale dépassant de loin le cas des concours de bibliothèque ou de la filière culturelle.

Alors, tâchons de rectifier le tir. Proposons des épreuves. Suggérons au CNFPT de s'inspirer de son propre référentiel des métiers des bibliothèques, qui fut présenté au congrès de l'ABF de Troyes en juin 2002 et qui peut-être sera rendu public un jour.

Et puis, quoi ? Prêchons la patience aux collègues qui traînent de contrat annuel en contrat annuel, à la merci des services de contrôle de légalité de la Préfecture chargés de vérifier que " les emplois permanents sont occupés par des fonctionnaires ". A ceux dont la promotion paraît évidement méritée, justifiée même par les fonctions qu'ils exercent, et qui ont droit tous les deux ans, sur le contingent chichement mesuré par l'absurde système de détermination du nombre de postes, de tenter leurs chances et d'être déçus.

Je suis d'autant plus meurtri par cette situation que j'ai participé à une campagne pour la professionnalisation des concours (http://sosbibli.free.fr) dont le premier résultat concret, la réforme du concours de bibliothécaires, connaît une première application calamiteuse.

Et je suis d'autant plus touché personnellement que je mesure aujourd'hui le double privilège dont j'ai joui :

Il existe dans la littérature chinoise, mais aussi dans son décalque que sont les talentueux romans de Robert Van Gulik narrant les enquêtes du juge Ti (éditions 10-18), un personnage récurrent : le " candidat aux examens ". Traduction approximative car le concept n'existe qu'en français : c'est bien un " candidat aux concours ", passant sa vie à préparer ces si difficiles épreuves et persévérant après ses échecs successifs. Ne nous méprenons pas. Le candidat aux concours mandarinaux n'est nullement un personnage de " looser ". Il jouit au contraire d'une véritable position sociale et de la considération publique.

Je propose donc que nous nous inspirions jusqu'au bout de l'Empire du milieu et que soit créé dans la filière culturelle territoriale, déjà si riche avec ses agents et agents qualifiés du patrimoine, ses assistants et assistants qualifiés de conservation, ses bibliothécaires et ses conservateurs, un statut (avec déroulement de carrière) de Candidat aux concours. Je vous garantis qu'il y en a de formidables, et qui font honneur à la lecture publique.

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M. Dominique LAHARY - dominique.lahary@voila.fr
S'exprimant à titre personnel après 25 ans de gestion et de recrutement de personnel de bibliothèque