Bibliothèque et concurrence :
par quel(s) bout(s) prendre la question ?
Dominique Lahary, mars-juillet 2004
Prologue : hors concurrence,
hors marché ?
1.1 Une brassée de concurrences
1.1.2 Concurrence des
investissements publics
1.1.3 Concurrence des métiers, acte
1
1.2 Au cœur du sujet : la
bibliothèque mise en cause
1.2.1 La bibliothèque accusée de
concurrence déloyale ?
1.2.2 La bibliothèque concurrencée ?
1.2.3 Concurrences des métiers, acte
2
2 La concurrence : une
question de point de vue
2.1 Du point de vue de l'utilisateur
2.1.1 Les éléments de la concurrence
2.1.2 Le nomadisme et l'atomisation
2.1.3 A chaque support son mode
d'approvisionnement
2.1.4 Récurrence, granularité,
thésaurisation
2.2 Retour au point de vue (désormais
éclairé) de l'offreur
2.2.1 Comment nomme-t-on
l'utilisateur ?
2.2.2 Le contraire de la
concurrence, c'est...
3 Plaidoyer pour les
politiques publiques
3.1 Le réel, fondement de toute
politique
3.3 Pour une politique territoriale
de lecture publique
Deux images pour commencer :
le |
et
la |
L'homme, c'est Egon Krenz, éphémère successeur du 18 octobre au 7 décembre 1989 d'Erich Honecker à la tête du parti socialiste unifié de RDA.
La foule, c'est celle des manifestants est-allemands qui se sont mis à scander dès le changement de dirigeant : " Egon Krenz, wir sind die Konkurrenz " (Egon Krenz, nous sommes la concurrence).
Ainsi cette foule, au nom d'une concurrence politique à établir, se jeta pour le meilleur et pour le pire dans l'univers de concurrence généralisée qui est le nôtre.
Un collègue me disait récemment que la lecture de la nouvelle édition du Métier de bibliothécaire[1] lui inspirait la réflexion suivante : les bibliothécaires conçoivent leur activité comme hors marché.
Il n'est pas douteux que nous autres bibliothécaires tenons à nous définir ainsi et donc de nous situer, sinon hors d'un univers concurrentiel, du moins dans une posture particulière par rapport à celui-ci.
Cela mérite bien un approfondissement et quelques déplacements de perspectives.
Bertrand Calenge qui prépara ce dossier comme rédacteur en chef me disait avoir eu un " mal de chien à monter ce numéro ", signe que le thème était encore " émergeant ".
La concurrence des usages, autour d'un temps supposé fixe de temps libre, a inquiété les professions du livre ou plus largement de la culture : la télévision contre la lecture[2], le sport contre la culture, puis Internet contre le papier.
Il en a moins été question quand il s'est agit du temps libre conquis après l'adoption de la loi sur les 35 heures, comme si la bataille était perdue d'avance, même si certains ont pu noter une augmentation de la fréquentation des bibliothèques le vendredi.
Mais il y a aussi la concurrence des usages au sein de la bibliothèque, qui voit individus et groupes se disputer espaces et services (" un public chasse l'autre ", dit-on parfois).
Un des terrains de cet affrontement, c'est l'écran. S'y joue à la fois la concurrence entre publics, mais aussi entre types d'usage, Internet écrasant ce pauvre catalogue, et sur Internet la messagerie écrasant cette pauvre " recherche documentaire ", ce qui peut conduire à spécialiser des postes quand la logique de la standardisation permet qu'ils soient tous multi-usage.
La question est : quand la lecture publique devient-elle prioritaire sur l'agenda des élus locaux ?[3]
Viennent en concurrence les investissements extra-culturels, notamment les infrastructures, mais aussi les autres champs de l'action culturelle locale : le spectacle vivant, l'enseignement musical, mais aussi sans doute la culture de l'événement contre ce service invisible, et pourtant de masse, que rendent les bibliothèques.
Ma collègue de la Bibliothèque départementale du Val-d'Oise chargée des subventions a l'habitude de dire qu'un projet de bibliothèque (on dit aujourd'hui " projet de médiathèque ") est pour un Maire rarement une entreprise de premier mandat. Il vient après que des investissement jugés plus essentiels ont été assurés.
Je vois depuis quelque temps des élus locaux accepter des investissements, des emplois dans des lieux identifiés comme outils de lien social notamment en direction des jeunes, avec Internet et jeux en réseau, tandis que la bibliothèque demeure gérée, si l'on est à la campagne, par des bénévoles âgés recevant des enfants jusqu'à onze ans et des adultes inactifs : il y a un véritable danger de " ringardisation " des bibliothèques.
Sur le marché de l'emploi, on peut parler de concurrence entre les formations [4], entre les salariés et les bénévoles, entre les emplois statutaires et les autres, notamment les emplois jeunes [5], enfin entre les " professionnels " [6] et les autres (administratifs, généralistes de la culture) dans les emplois de direction.
Au cours des années 1990, le secteur marchand a pu accuser les bibliothèques de concurrence déloyale.
La bataille a d'abord été portée sur le terrain de l'imprimé, dans le sillage de la directive européenne sur le droit de prêt du 19 novembre 1992[7] Les emprunts en bibliothèque porteraient tort à la vente de livres.
Une étude menée par l'Observatoire de l'économie du livre a conclu à la complexité de l'interaction entre l'emprunt et l'achat de livres. Une synthèse de ses résultats a été publié par le Bulletin d'informations de l'ABF sous le titre " Les bibliothèques, acteurs de l'économie du livre[8] ". Ce slogan a semble-t-il été reçu positivement dans la profession comme une réponse à l'accusation : nous sommes dans l'économie du livre, puisque nous achetons des livres et que nous en faisons vendre. Reste que " l'intrusion de la propriété intellectuelle dans le paysage, à un degré tout à fait inédit, a servi de révélateur à une évidence : que les bibliothèques, au cœur d'une chaîne dont tous les maillons sont solidaires, ne pouvait pas prétendre s'exclure du flux des échanges[9]. "
L'éventuelle des concurrence déloyale des bibliothèques vis-à-vis du commerce du disque a été peu évoquée, sans doute parce que ne subsistent sur ce terrain que les grandes surfaces, spécialisées ou non.
C'est sur la vidéo que l'accusation a pu prendre une tournure plus vive, parce qu'existe un commerce de la location qui ressemble à celui du prêt [10]. La question a été réglée sous la forme un surcoût pour droit de prêt.
Réactivant une crainte précédemment exprimée, la conscience que le public de la bibliothèque pouvait s'en détourner au profit d'autres sources d'approvisionnement ou de documentation s'est accrue au début de ce siècle.
La nouvelle venait d'Amérique[11] : les bibliothèques étaient en train de se vider, et pas seulement dans les universités. En cause, ce véritable documentaliste à domicile que constitue Internet, et notamment, reconnaissons-le, le moteur de recherche Google.
La menace, d'abord cantonnée au documentaire, s'est déplacée vers les objets de consommation culturelle, avec le phénomène d'auto organisation de l'approvisionnement en morceaux de musique. On oublie de dire que, dans cette affaire, les bibliothèques sont en réalité dans le même camp que l'industrie et la distribution commerciales phonographiques, au sens où elles connaissent une baisse des prêts de CD concomitante de celle de leur vente.
Mais c'est finalement un sentiment plus diffus qui s'est emparé de la profession au vue d'une certaine baisse de la fréquentation révélée par les statistiques nationales en 2002[12], quand l'offensive toute récente d'éditeurs sur le droit de prêt s'était encore fondée sur une envolée des prêts depuis les années 1970.
La montée en charge progressive d'une économie en ligne installe une concurrence parfois brutale entre des acteurs dont le rôle était auparavant stable et respecté, les uns pouvant s'efforcer de faire le métier des autres, voir de les faire disparaître comme intermédiaire inutile pour toucher l'utilisateur final.
On peut tendre vers deux schémas simplifiés :
- un modèle éditorial pouvant être commercial, où l'éditeur s'adresse directement au lecteur-imprimeur ;
- un modèle reposant sur le partage et le don, où l'auteur s'adresse directement au lecteur, les rôles pouvant être interchangeables.
Dans les deux perspectives, la bibliothèque pourrait n'être traitée que comme un utilisateur final parmi d'autres, perdant de son intérêt en ce qui concerne les ressources gratuites, et soumises s'agissant des payantes aux stratégies commerciales qui la viseront ou la négligeront[13].
L'énoncé de ces concurrences conduit naturellement les bibliothécaires à confirmer le rôle spécifique de leurs établissements sur le mode de la distinction : voilà que réapparaît l'inusable concept de Pierre Bourdieu. L'offre des bibliothèques serait différente, et c'est sur cette base que la concurrence pourrait être limitée, ou évitée, ou combattue.
Cette différence, elle se fonde naturellement, non sur une stratégie de marketing ayant identifié une ou des cibles particulières, mais sur une idéologie du service public de la bibliothèque.
Or une telle démarche conduit à dénoncer des usages, ou à les déplorer, en tout cas à ne pas les comprendre.
C'est pourquoi je propose de mettre entre parenthèse, au moins dans un premier temps, une attitude qui rassure (" je demeure ") et tout à la fois inquiète (" tout fout l'camp ") pour tenter de se placer résolument du point de vue de l'utilisateur.
Admettons que l'utilisateur agit au mieux de son intérêt en met en concurrence les ressources et les offreurs (coût, accessibilité, exhaustivité...) Il agit ainsi comme l'agent économique de l'économie politique classique.
Détaillons les éléments de la concurrence qui vont faire pencher l'utilisateur vers une source d'approvisionnement plutôt qu'une autre : le coût, la rapidité, l'exhaustivité, la qualité, la commodité, la réutilisation.
Le coût.
La gratuité est une modalité de la tarification. Elle n'est pas appréciée en soi mais en relation avec les autres critères.
Dès qu'il y a tarification annuelle, quelle que soit notre vertueuse bataille contre le paiement à l'acte au moment de l'affaire du droit de prêt, l'utilisateur raisonne en terme de forfait et se demande : " est-ce que j'ai intérêt à m'inscrire en fonction des usages que je prévois ? ". Le forfait permet donc même grossièrement d'estimer un coût de chaque emprunt.
Enfin, toute tarification déjoue notre logique d'individualisation de l'inscription au profit d'une collectivisation de l'usage, familiale ou autre, afin de minimiser le nombre de forfaits à acquitter.
La rapidité
Elle se décline en deux volets :
- rapidité d'accès au service, donc le plus souvent au bâtiment[14],
- rapidité d'obtention de ce qu'on recherche, soit qu'il recoure au personnel, au catalogue soit, cas le plus fréquent, qu'il trouve soit-même.
L'exhaustivité
Il ne s'agit pas de l'exhaustivité relative à la production éditoriale ni aux divers domaines de la connaissance et de la culture, mais bien aux demandes de l'utilisateur.
La qualité
Il s'agit là encore de la qualité vue par l'utilisateur :
- en terme de contenu : qualité de l'offre (y compris le cas échéant de l'offre inattendue),
- en terme de support matériel.
La commodité
- Est-ce que je dois m'organiser en fonction de l'établissement ou celui-ci est-il adapté à mes propres rythmes ?
- Est-ce que je trouve facilement ce que je cherche ?
- Est-ce que je peux faire ce que je veux (en particulier sur Internet) ?
La réutilisation
Il s'agit essentiellement de la copie privée qui peut être une des motivations de l'emprunt. On en mesurera rétrospectivement la part si des procédés techniques viennent à l'empêcher.
Bien sûr, l'agent économique, on le sait, n'agit pas de façon rationnelle[15]. Il faut donc ajouter à ces éléments des données subjectives, comme l'accueil, la convivialité, le relationnel, et tous les éléments symboliques d'adhésion éventuelle à un lieu, à une institution.
Dans cette mise en concurrence, la bibliothèque est évidemment banalisée, comparée aux autres sources d'approvisionnement en fonction de critères indépendants de la logique qui préside à la constitution des collections ou de la prise en compte de ce que les bibliothécaires appellent leurs missions.
Et les distorsions que les bibliothécaires opèrent sur la demande ont des effets qu'on peut constater en faisant abstraction de leurs intentions. Ainsi, en n'offrant pas les best-sellers en proportion de la demande, ils sélectionnent les lecteurs de best-sellers de bibliothèque (les plus rusés, les plus experts dans l'exploitation du fonctionnement de la bibliothèque, les plus patients, ceux qui ont le temps).
Quant à la fameuse gratuité, elle est surtout un mode particulier de tarification qui sépare ce qui est payé à l'acte (l'achat d'un livre, d'un CD, la location d'un DVD) et ce qui est payé hors de l'acte (forfait, achat d'un appareil, abonnement) : la radio, la télévision, Internet (pour la majorité de ses usages), la bibliothèque.
Il y a même concurrence entre gratuités : les échanges de fichiers musicaux mettent hors jeu pour une partie du public et des genres musicaux entiers les discothèques de prêt et les vendeurs de CD.
La formulation la plus avancée de la performance attendue par l'utilisateur est le fameux " tout, tout de suite ", vieux slogan de 1968 curieusement devenu celui du consumérisme contemporain (à traduire par : " tout ce que moi je veux, au moment où moi je le veux ").
" Certes le thème de la tension entre offre et
demande n'est pas nouveau et a pour l'essentiel généré une littérature de la
valorisation de la première et une pratique du compromis avec la seconde[16].
Mais tout se passait comme si un double filtre contribuait à anesthésier les
tensions : le public se contentait de demander à la bibliothèque ce que
celle-ci lui offrait ; ne venait à la bibliothèque que le public intéressé
par l'offre qu'il pensait y trouver (ou bien encore : ne venait pas celui
qui ne pensait pas y trouver ce qui l'intéresse).
" Or cette tension semble avoir connu une vigueur
nouvelle avec l'ouverture de vastes médiathèques, comme si des espaces tenant
davantage de l'hypermarché que de la boutique faisaient exploser les modes de
sociabilité. Explosion ne se manifestant pas seulement par l'absence ou la
dégradation des relations entre utilisateurs et entre ces derniers et le
personnel, mais par une mutation de l'attente vis-à-vis de l'établissement,
conçu comme un lieu d'approvisionnement parmi d'autres soumis à la pression du
caprice de chacun et non comme une institution publique développant une
politique d'offre légitimée, fût-ce seulement, avec l'assentiment tacite des
dirigeants territoriaux et des élus, dans la tête des bibliothécaires.
" Cette attitude nouvelle est fréquemment dénommée
" consumérisme " par ces derniers et heurte de plein fouet la
conception qu'ils ont de leur rôle et de leur métier. Elle signifie qu'a priori
tout est légitime, tout est sur le même plan, et que tout un chacun est fondé à
produire sa propre légitimité[17]. "
" Le client est devenu nomade " disait derrière son au comptoir le patron d'un café de Louvres (Val-d'Oise) le 19 janvier 2004.
C'est devenu une banalité du marketing que de constater le nomadisme des consommateurs, le déclin de la fidélité à une marque, à un magasin, une chaîne de télévision ou de radio : la clientèle est toujours à reconquérir, elle n'est plus ni captive ni fidèle. La bibliothèque n'y échappe pas et ne représente qu'un cas particulier de ce phénomène général qui ne touche pas seulement des institutions publiques, mais aussi des établissements commerciaux.
Ce phénomène tend à accroître la concurrence puisqu'il remet en jeu à chaque besoin la place de chaque source d'approvisionnement. Il fait que l'inscription annuelle payante en bibliothèque pose problème : ce système sélectionne des usagers réguliers ayant un sentiment d'appartenance et exclut les usagers occasionnels.
Il se conjugue avec une atomisation de la demande, qu'il convient du nuancer : l'atomisation individuelle se combine avec une fragmentation par groupe.
Ce phénomène général se manifeste également dans le champ culturel : à des blocs de culture légitime succèdent des " tribus " ou des agrégats individuels[18]. Cela ne veut dire qu'il n'y a plus de prescription, mais on préfère le prescripteur invisible (médias de masse) ou communautaire (la culture de tribu), entre pairs (peer to peer, nom de la technologie correspondant à cette attitude) à la prescription institutionnelle des institutions culturelles.
Mais l'individualisation de comportements et des services ne va pas sans paradoxes :
- du côté du client-usager, balancement entre le fréquentation de grands équipements anonymes et la recherche d'une relation fidèle à un service convivial ;
- du côté du commerce ou de l'institution publique, balancement entre l'individualisation des services (un maître mot du marketing contemporain) et la massification de l'offre.
Nous aimons à présenter la médiathèque dans son unité. En réalité, les logiques d'approvisionnement diffèrent radicalement selon les supports, comme le montre notamment une enquête menée en 2003 dans deux territoires de l'Est du Val-d'Oise auprès de personnes sortant d'une bibliothèque publique[19].
Questions : " Si
vous lisez des livres, où vous les procurez-vous ? " Les emprunteurs de livres en sont des acheteurs : voilà qui confirme la corrélation entre les deux pratiques. Mais l'emprunt l'emporte légèrement sur l'achat. |
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Questions : " Si vous lisez des journaux et
des revues, où vous les procurez-vous ? " En matière de presse imprimée, l'achat domine, suivi par l'abonnement, l'emprunt en bibliothèque venant en troisième position. |
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Questions : " Si vous écoutez des disques, où vous les procurez-vous ? " |
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Questions : " Si vous consultez des cédéroms, où vous les procurez-vous ? " Concernant la musique enregistrée et les cédéroms,
l'emprunt en bibliothèque vient loin derrière l'achat, première pratique
reven-diquée, l'emprunt dans le cercle de relations et le télédéchargement
sur In-ternet[20]. |
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Questions : " Si vous regardez des vidéos ou des DVD, où vous les procurez-vous ? " Le mode majoritaire d'appro-visionnement en vidéo est la location, suivi de peu par l'achat. L'éventuelle concur-rence se joue donc là entre deux pratiques d'acquisition temporaire (le prêt ou la location). |
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Questions :
" Si vous consultez Internet, où le faites-vous ? " L'utilisation d'Internet à domicile domine largement, même s'il n'atteint pas 60%. Il est suivi par le lieu de travail et par le cercle de relations, ce qui associe cette pratique aux lieux ordinaires de vie : Internet, c'est ce que j'ai à ma main, là où je suis. Ce n'est pas un service vers lequel je me déplace. Comme le télé-phone. |
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Cette grande différenciation entre les modes d'approvisionnement, qui donne à l'éventuelle offre de la bibliothèque une place chaque fois singulière, il convient de la rapprocher de trois modes de consommation culturelle, informationnelle ou de loisir.
La récurrence
Combien de fois vais-je consommer ? On peut distinguer :
- la consommation unique ou quasi unique : on lit un livre écrit sur un mode narratif, qu'il relève ou non de la fiction, une fois, parfois deux[21] ;
- la consommation d'occasion : livres à consulter quand on en a besoin, comme un dictionnaire ou un livre pratique ;
- la consommation moyennement récurrente : on peut voir et revoir un film un certain nombre de fois ;
- la consommation hyperrécurrente : c'est le cas de la musique, du moins pour certains morceaux pendant un certain temps.
Ainsi le mode même de consommation suppose ou non la possession. Quand il le suppose, l'emprunt en bibliothèque n'a d'intérêt que pour essayer... ou pour copier.
La
granularité
Le concept de granularité de l'information s'est répandu au cours des années 1990 pour rendre compte de la variété des unités d'information pertinentes pour l'internaute (le site, la page, le document, le fragment), quand les bibliothèques avaient le plus souvent pour habitude de gérer... et décrire des unités physiques correspondant à ce qu'elle pouvaient stocker et communiquer, et/ou des unités bibliographiques répondant à la logique de l'éditeur.
Il convient aujourd'hui de parler de granularité de la consommation, et l'on voit bien que ce qui intéresse nombre de consommateurs de musique, c'est le morceau, qu'ils repèrent, déchargent et copient sur leur baladeur. Cette fragmentation et cette volatilité, qui plaisent aux utilisateurs, font peur aux ayants-droit.
La thésaurisation
La thésaurisation d'objets de consommation culturelle, informationnelle ou de loisir répond à un besoin pratique de consommation (disposer quand on a besoin) mais aussi à des ressorts qu'on qualifiera d'irrationnels en déniant toute connotation négative à cette qualification : l'affectif, le symbolique, et bien d'autres choses encore.
Bien d'entre nous sont ainsi des collectionneurs. Sans doute sont-ils plus fondés à l'être pour leur propre compte que les bibliothécaires pour leur établissement.
Quant à la thésaurisation par délégation dont serait investie la bibliothèque pour une population, faute d'étude, je me contenterai d'y croire assez peu, sinon en creu par la pratique du don : je donne à la bibliothèque parce que je ne me résous pas à jeter.
La façon dont les bibliothécaires ou leurs administrations nomment les utilisateurs est pleine d'enseignements.
Désignation |
Vision |
Qualificatif |
Le lecteur |
Culturelle |
Acteur-consommateur |
L'inscrit |
Administrative |
Soumis |
L'usager |
Administrative avec idéologie du service public |
Soumis |
L'adhérent |
Participative ou appartenancielle |
Fidèle |
Le client |
Consumériste |
Roi |
Il serait intéressant d'établir la répartition de ces appellations dans le discours écrit et oral des divers types de bibliothèques et de leurs tutelles administratives et politiques. Mais il semble bien que le terme dominant, chez les bibliothécaires revendiquant leur profession, soit " lecteur ", mais que son usage recouvre les contenus véhiculés par les termes " inscrit " et " usager ", qui impliquent une soumission à la légitimité du service public, tandis que le client-roi produit sa propre légitimité : voilà, pourquoi nous refusons ce mot.
Quant à celui de " consumérisme ", il pourrait bien être la façon qu'ont les bibliothécaires et autres prescripteurs de reconnaître, en la condamnant, la prise du pouvoir de l'utilisateur sur ses propres demandes.
Les institutions culturelles ont l'habitude de constituer leur public. Le sentiment de décalage viendrait d'un renversement : le public auto-institué prétendrait générer l'offre.
Rappelons-nous la cruelle formule de Bertolt Brecht, selon laquelle, si le gouvernement, était mécontent du peuple, il n'avait qu'à le dissoudre et en nommer un autre[22].
... le monopole, et non le " hors marché ". Si les bibliothécaires ont le sentiment d'entrer dans un univers concurrentiel, c'est parce qu'ils se rendent compte qu'ils ont perdu leur monopole, qui n'était peut-être qu'imaginaire.
Ce monopole était celui de l'exercice d'une mission de service public de transmission du savoir et de la culture, sur un territoire géographique donné. Cela impliquait une maîtrise au moins imaginaire du territoire et de la population, par la reconnaissance d'une portion significative dénommée " public ".
Or les gens n'en font qu'à leur tête, ils pratiquent la fréquentation à éclipse, combinent les modes d'approvisionnement incluant ou non la bibliothèque, et choisissent leurs lieux de chalandise sans tenir compte des limites institutionnelles. On ne maîtrise jamais une population, on n'en attire que des lambeaux qui auront trouvé intérêt à venir là plutôt qu'ailleurs : " le territoire est [...] un "mille feuille"; [...] un "point d'empilement instable entre de multiples réseaux se déployant à des échelles différentes", [...] un "portefeuille de réseaux".[23] "
Nous venons de le voir, la concurrence peut être à l'œuvre dans l'espace. Elle va se jouer alors sur deux registres :
- concurrence entre lieux proches ayant des offres se recoupant en partie,
- concurrence entre territoires sur le terrain de l'attractivité, une offre pouvant déplacer l'utilisateur, réorienter ses déplacement (c'est le cas de figure classique du commerce de proximité ruinée par la grande surface).
Mais il existe également une concurrence entre ce qui est spécialisé et ce qui ne l'est pas, qui est donc atopique (sans lieu de référence). Nous l'avons dit, l'utilisateur veut avoir les services à sa main sans avoir à se déplacer pour en jouir, et l'une des figures majeures de ce nomadisme, c'est paradoxalement le domicile.
Voilà pourquoi les institutions spacialisées doivent se poser la question des services à distance. Ce faisant , elles échappe à toute limitation territoriale des utilisateurs, et, tant que le service n'est pas limité par l'obligation d'identification de l'employeur, ouvert à tout un chacun.
Il est ainsi possible, j'en ai fait l'expérience, de mettre en concurrence le service de réponse personnalisée à distance de deux bibliothèques : la Bibliothèque publique d'information[24] et la Bibliothèque municipale de Lyon[25].
Comment une bibliothèque peut-elle situer son offre dans l'univers concurrentiel ? On aborde volontiers la questions sous l'angle de la différence. Encore faudrait-il énoncer laquelle.
Je déconseille pour se livrer à cet exercice de prendre l'exemple des supports les plus récents : les bibliothécaires mettent des années avant d'établir un compromis entre offre et demande et abordent toujours un nouveau support en recommençant l'histoire de la bibliothéconomie, avec une politique documentaire strictement prescriptive, ce que j'avais ailleurs exprimé par la définition suivante : " un nouveau média, c'est un média auquel les bibliothécaires appliquent une bibliothéconomie ancienne[26]. "
Les deux gros points de friction entre la demande et l'offre concernent la nouveauté et la légitimité culturelle et scientifique : restriction d'un côté, distorsion de l'autre. Mais c'est peut être sur la question du temps que la bibliothèque peut imaginer le mieux marquer sa différence.
Prenons l'exemple d'un vieux média : le livre imprimé. Il est constant que la vie du livre en librairie est courte et qu'il est rapidement malaisé de se procurer un titre, même en passant commande. La bibliothèque de son côté prétend conserver plus longtemps ses livres en rayon, ce qui les rend disponible à la demande sur titre, mais aussi, ce qui n'est pas mince, à la découverte sur les rayons.
De façon arbitraire, j'ai figuré schématiquement quatre types de cycles de vie d'un livre à l'aide de deux courbes représentant respectivement la demande et l'offre des bibliothèques.
La rotation rapide C'est le " livre éphémère ", qui ne sera guère demandé au-delà de son cycle de mise en place en librairie. Il survit en bibliothèque, satisfaisant une demande marginale éventuelle. |
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La rotation moyenne La persistance d'une demande place la bibliothèque en bonne position pour la satisfaire au-delà de la mise en place en librairie. |
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La rotation lente La lente montée de la demande fait que l'offre en bibliothèque, d'abord surdimensionnée, trouve enfin sa justification. |
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La rotation nulle Le livre a mené sa carrière en bibliothèque, mais n'a intéressé personne. |
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Dans l'idéal et sur un plan macro-économique, si l'on veut bien ne pas cantonner cette expression à l'économie marchande, ce dispositif reviendrait à perpétuer une offre " au cas où " en faisant peser la charge du stockage sur les institutions publiques.
S'il coûte à l'industrie et à la distribution commerciale, le stockage coûte aussi aux institutions publiques en locaux, personnels et traitement (songeons par exemple au temps consacré au catalogage de livres jamais prêtés où dont le cycle de vie en bibliothèque aura été court).
Mais le stockage en bibliothèque sur les rayons en libre accès coûte aussi... en usagers, puisqu'un fonds non désherbé fait fuir[27]. Il se pourrait bien que les bibliothèques, sur la double question de la nouveauté et du contenu de l'offre, ne présentent en définitive qu'un léger décalage avec le commerce du livre. Fécond en lui-même, ce décalage perdrait toute efficacité s'il se creusait.
Pour augmenter la capacité en offre de présentation, il faut compter sur la complémentarité entre petits et grands équipements. Et pour améliorer la capacité à fournir un titre ayant terminé sa carrière en librairie, il faudrait que les éliminations et le stockage de réserve soient gérées autrement que commune par commune. L'exemple de la réserve centrale des bibliothèques de la Ville de Paris est à cet égard éclairant[28].
Pourquoi ce détour par le point de vue de l'usager ? Pour montrer que tant qu'on se cantonne au point de vue de l'offreur, avec éventuellement la perception d'une concurrence entre offreurs, on ne peut comprendre ce qui se passe.
Et tant qu'on positionne la bibliothèque comme étant par définition hors concurrence parce que hors marché, on ne comprend rien non plus, la vente ou la location de biens et de service n'étant qu'un élément parmi d'autre de l'univers concurrentiel.
L'idéologie du service public ne permet pas en elle-même de penser depuis l'utilisateur.
Ce n'est après ce détour qu'on peut reconstruire, non pas une légitimité autoproclamée de la bibliothèque, mais une inscription de l'outil bibliothèque dans les politiques publiques : sachant ce que nous savons des usages et des besoins qu'elles révèlent, que veut faire la puissance publique (État, régions, départements, communes, établissements publics de coopération intercommunale...) ?
Deux questions peuvent être posées comme préliminaire à la définition des politiques :
- quel veut-on pour quelles catégories de population ?
- sans intervention publique, qu'est-ce qui importe et qui n'est pas satisfait, ou satisfait autrement ?
Mais la puissance publique est aussi fondée à avoir un point de vue sur les concurrents réels ou supposés de la bibliothèque : on peut souhaiter par exemple que le commerce du livre vive (on n'ose plus parler de celui des disque). On peut ne pas vouloir du mal au loueur de vidéos du quartier.
Les objectifs ayant été établis, la conscience de l'univers concurrentiel permet de prendre en toute connaissance de cause des décisions telles que la nature de l'offre (politiques documentaires), les tarifications éventuelles, les heures d'ouverture, etc.
Prenons l'exemple des accès à Internet.
Si nous raisonnons du point de vue de la bibliothèque autocentrée, nous disons : " Puisque notre métier c'est de sélectionner des ressources documentaires et culturelles, passons du temps à la sélection de site et proposons le résultat de ce travail aux usagers " : voilà une offre sans concurrence... parce qu'elle n'intéresse guère.
Si nous raisonnons du point de vue de la population, nous constatons des usages installés (Internet est un média global sur lequel les gens n'imaginent pas d'autres pratiques que la libre navigation), des utilisateurs parfois déçus ou désorientés, une frange de population n'ayant pas accès.
En termes de politiques publiques, on peut par exemple en déduire les objectifs suivants :
- pour la population déjà utilisatrice, libre navigation banalisée (puisqu'Internet est partout, autant qu'il soit aussi à la bibliothèque) ;
- pour la population désorientée, aide personnalisée ou sessions d'initiation ;
- pour ceux qui n'ont pas accès, la bibliothèque prend place dans le paysage des accès publics.
Pour asseoir le positionnement politique de la bibliothèque dans l'univers concurrentiel, je propose de nous appuyer notamment sur les trois principes suivants :
Positionner la bibliothèque
comme plate-forme de service et lieu de vie
Ce qui peut caractériser la bibliothèque, si on veut bien le lui en donner des moyens, c'est d'être une plate-forme de services divers : juxtaposition des contenus et des supports, animation et action culturelle, consultation sur place... et tout simplement lieu où l'on peut rester, seul ou en groupe, pour peu qu'il y ait chauffeuses, tables et chaises. Certes on ne rentre pas forcément dans une librairie pour y acheter, mais il n'y a le plus souvent guère autre chose à faire que de feuilleter en station debout. L'importance croissante de la fréquentation de non inscrits en bibliothèque est bien connue, et l'on sait qu'une faction non négligeable stationne sans utiliser les ressources documentaires proposées.
" Des tables et des chaises " ! Voilà un service signalé que les pouvoirs publics peuvent rendre grâce à leurs bibliothèques, maisons communes des temps modernes. Il n'y en a souvent pas assez et on peut se demander si bien souvent on ne pourrait pas ôter quelques rayonnages pour leur faire de la place.
Je me réjouis de l'essor de la " poldoc "[29]. Mais je rêve d'une " poltec " : politique des tables et des chaises. Il y aurait d'ailleurs de quoi alimenter toute une littérature professionnelle : Chauffeuses et/ou tables et chaises ? Concentration et/ou éclatement ? Salles distinctes et/ou inclusion dans l'espace commun ? Tables collectives ou carels individuels ? Tables rondes ou rectangulaires, alignées ou séparées ? Mais aussi : Comment gérer la pluralité des publics séjourneurs, empêcher que l'un chasse l'autre ?
Il y a sur les tables et les chaises un manque dramatique de concurrence. Largement démontrée sur la place de Paris, cette pénurie existe aussi en bien d'autres endroits de notre pays. les premières victimes en sont, semble-t-il, les 15-25 ans[30].
Accepter une certaine
instrumentalisation de la bibliothèque
L'affaire est délicate puisque l'on a, à juste titre, condamné l'instrumentalisation des bibliothèques par des municipalités d'extrême-droite comme Orange ou Vitrolles au profit d'une vision étriquée et idéologique de la culture ou celle du Maire de Saint-Prix qui, critiquant la publication par les éditions Calmann-Lévy du livre de Patrick Henry, ce qui pouvait se concevoir, fit savoir qu'il retirait de la bibliothèque municipale tous les livres de cet éditeur[31].
Mais ne peut-on admettre que la lecture publique, renonçant à ce qui est parfois son splendide isolement, peut être un " segment de politique publique[32] ", qu'elle peut dans une politique locale globale servir à quelque chose ?
La bibliothèque peut être une composante de l'attractivité d'un territoire, et entrer délibérément dans une stratégie visant à attirer des catégories de population comme les cadres, les classes moyennes.
Elle peut être un agent de lien social, faciliter dans une ville, un quartier, un village , la rencontre entre semblables et entre différents.
Elle peut être un outil d'intégration ouvert à des groupes d'adultes ou aux actions de soutien scolaire.
Tout ceci se fait dans bien des endroits et ne peut que favoriser l'inscription de la lecture publique à l'agenda des décideurs locaux.
Dépasser la cohérence interne
et accepter la segmentation des publics
Nous sommes obsédés par la cohérence interne de nos collections, signe d'une posture autocentrée : l'ensemble de l'offre d'une bibliothèque devrait obéir à un principe d'équilibre[33].
Plutôt que d'être équilibrée sur elle-même, ne doit-elle pas l'être avec la société qui l'entoure ?
Force est alors d'accepter une certaine segmentation du public, de penser l'offre en rapport avec des blocs de public divers, ce qui peut autoriser la coexistence dans un même bâtiment de politiques documentaires diversifiées.
Force est aussi de ne pas raisonner établissement par établissement et commune par commune : voilà posée la question territoriale.
Nous l'avons vu plus haut[34], il n'y a plus de monopole territorial, la maîtrise d'une population sur un territoire est illusoire, au moins dans le domaine de l'urbain et du péri-urbain qui concerne désormais l'écrasante majorité de la population.
Mais dès qu'on étend le périmètre d'une gestion politique, on réduit les écarts entre territoires géographiques et territoire administratif. On peut ainsi maîtriser, si on le veut bien (si les élus le veulent, si les dirigeants territoriaux le veulent, si les bibliothécaires le veulent), des synergies et des complémentarités entre bibliothèques, autrement que par le jeu hasardeux des juxtapositions et des concurrences.
La démultiplication jusqu'à la plus petite échelle du modèle de la bibliothèque encyclopédique pour tous n'a pas de sens. Chaque bibliothèque n'a pas à prétendre répondre à tous les besoins, tous les usages, tous les publics, mais à constituer un des points d'entrée d'un complexe de services.
Ainsi peut-on combiner la proximité et la largeur de l'offre, la convivialité et le service de masse, la présentation sur les rayonnages et la réservation sur titre, y compris grâce au prêt entre bibliothèques ou à la circulation des documents au sein d'un réseau.
L'intercommunalité est ainsi susceptible d'élever le niveau de rationalité de l'action publique, dans ce domaine comme dans bien d'autres. Mais ce n'est bien sûr pas le seul cadre possible, et les différentes formes de coopération et d'organisation, y compris l'action des bibliothèques départementales, ont leur rôle à jouer.
Il est fréquent que des bibliothécaires salariés ou bénévoles ressentent avec douleur la concurrence d'un établissement qui attire dans leur zone de chalandise par une offre supérieure. Nous pourrions nous donner cet objectif : au moins ne nous faisons pas concurrence entre nous. Pensons complémentarités, puisque de toutes façons les usagers le font, et règlent bien de leurs déplacements selon la trilogie des étoiles des guides verts Michelin : " vaut le voyage ", " mérite un détour ", " intéressant ".
" Le bibliothécaire est un intermédiaire actif
entre les utilisateurs et les ressources. "
Manifeste de l'UNESCO sur la bibliothèque publique, 1994[35]
" D'une manière générale, toute bibliothèque doit
s'inscrire dans un ensemble organisé dont l'objectif est de fonctionner en
réseau. En conséquence, toute demande doit pouvoir être satisfaite. "
Charte des bibliothèques adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques le 7 novembre 1991[36]
" Le bibliothécaire s'engage dans ses fonctions à
[...] répondre à chaque demande, ou, à défaut, la réorienter. "
Code de déontologie du bibliothécaire adopté lors du conseil national de l'ABF le 23 mars 2003[37]
Ces proclamations audacieuses sont peut-être à nuancer dans l'univers concurrentiel où nous sommes : la bibliothèque ne répondra jamais à " toute demande " parce que ce l'est pas à elle qu'on demandera tout.
Mais elles invitent à ne pas faire perdurer au moins la concurrence entre bibliothèques, au profit d'un réel fonctionnement en réseau.
Finalement, nous pourrions retourner le titre de ce colloque : " Public : quelles attentes ; bibliothèques : quelles concurrence ? ", en nous demandant : " Public : quelles concurrences ; bibliothèques : quelle attente ? ".
Car c'est bien le public qui organise la concurrence à son profit, tandis que les bibliothèques sont ces temps-ci en attente... de se situer dans un paysage mouvant. Je suggère qu'avant d'attendre qu'une loi qui les situeraient, elles s'attachent à se situer par rapport au public.
[1] Le métier de bibliothécaire,
Ed. du Cercle de la Librairie, 2003.
[2] Une mise au point a été faite dans une étude , financée par l'Observatoire France Loisirs de la lecture : Livre et télévision : concurrence ou interaction ? par Roger Establet et Georges Félouzis, PUF, 1992.
[3] Voir notamment :Anne-Marie Bertrand, " Légitimités, concurrences, arbitrages (et retour) ", in Bulletin des bibliothèques de France n°1, 2002, http://bbf.enssib.fr/bbf/html/2002_47_1/2002-1-p30-bertrand.xml.asp.
[4] Voir notamment : France Bouthillier, " La concurrence dans les métiers de la documentation : réalité ou fiction ? ", in Bulletin des bibliothèques de France n°1, 2002.
[5] Le dispositif des emplois jeunes , déployé par la loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 et dont l'effet devrait s'éteindre en 2004, aura dans les bibliothèques constitué une véritable ruse de l'histoire au bout du compte féconde (accent mis sur la médiation, introduction de la culture des technologies de l'information dans des équipes qui pouvaient en être éloignées).
[6] Attention au mot professionnel : il n'a de sens qu'entre soi. Les bouchers sont des professionnels. Les DRH sont des professionnels. Et aussi, d'une certaine façon, les élus.
[7] La loi n° 2003-517 du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs est parue au Journal officiel n° 140 du 19 juin 2003 page 10241et sur Internet : http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=MCCX0200037L.
[8] Observatoire de l'économie du livre, " Les bibliothèques, acteurs de l'économie du livre : l'articulation achat-emprunt", in Bulletin d'informations de l'ABF n°166, 1er trimestre 1995. Voir aussi : Hervé Renard, " Achat et emprunt de livres : concurrence ou complémentarité ? ", in Bulletin des bibliothèques de France, n° 5, 1995, http://bbf.enssib.fr/bbf/html/1995_40_5/1995-5-p26-renard.xml.asp.
[9] Yves Alix, " La banalisation des bibliothèques : une offre non marchande dans le marché de l'information ", in Bulletin des bibliothèques de France, n° 1, 2002,. http://bbf.enssib.fr/bbf/html/2002_47_1/2002-1-p23-alix.xml.asp.
[10] En 2000, le directeur d'une BDP a reçu à son domicile personnel une convocation de la police. Celle-ci agissait sur plainte de l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle à la suite de la découverte dans une bibliothèque desservie par son établissement d'une cassette vidéo dont le prêt ne semblait pas autorisé par l'éditeur ou le diffuseur.
[11] Françoise Gaudet et Claudine
Lieber, " L'Amérique à votre porte ", in Bulletin des
bibliothèques de France, n° 6, 2002, http://bbf.enssib.fr/bbf/html/2002_47_6/2002-6-p70-gaudet.xml.asp. Un rapport controversé concernant
les bibliothèques publiques du Royaume-Uni constate également une chute de la
fréquentation : Libri, Who's in charge, http://www.libri.org.uk. L'association
britannique des bibliothécaires et professionnels de l'information CILIP a
répondu dans un communiqué du 29 avril 2004 : " Public libraries
report : Diagnosis may be right, treatment isn't ", http://www.cilip.org.uk/news/2004/040429.html.
[12] Dans le débat écrit organisé sur ce thème par le Bulletin des bibliothèques de France, le mot " concurrence " est totalement absent : " La fréquentation des bibliothèques municipales : débat ", in Bulletin des bibliothèques de France, n° 1, 2003, http://www.enssib.fr/bbf/bbf-2003-1/14-debat.pdf et Bulletin des bibliothèques de France, n° 6, 2003, http://www.enssib.fr/bbf/bbf-2003-6/11-calenge.pdf.
[13] Lors d'un débat au Salon du livre de Paris le 22 mars 2004, François Gèze, directeur général des éditions La Découverte, a déclaré que selon lui l'édition universitaire numérique ne viserait comme client que les bibliothèques, alors qu'il avait toujours compté sur une clientèle étudiante des livres imprimés.
[14] Selon une enquête menée par les services du Conseil général du Val-d'Oise auprès de plus de 400 personnes sortant de 14 bibliothèques de toutes tailles de l'Est du département, 90% des usagers mettent moins de 15 minutes pour se rendre à la bibliothèque quel que soit le mode de déplacement : Conseil général du Val-d'Oise, Usagers et usagers des bibliothèques publique en Pays de France et Plaine de France : Rapport d'enquête, septembre 2003, 67 p. Disponible auprès de la Bibliothèque départementale du Val-d'Oise sur son site web (http://www.valdoise.fr/bibli/bdvo) ou sous forme imprimée.
[15] Bernard Maris, Antimanuel d'économie, Bréal, 2003.
[16] J'ai tenté de proposer une alternative à cette notion de compromis dans " Pour une bibliothèque polyvalente : à propos des best-sellers en bibliothèque publique ", in : Bulletin d'informations de l'ABF n°189, 2000, <http://membres.lycos.fr/vacher/profess/textes/bibliotheque-polyvalente.htm>.