BIBLIOthèque(s) no26-27,
juin 2006
Revue de l'Association des bibliothécaires de France |
Les bibliothèques en Val-d'Oise :
Des territoires et des réseaux
par Hélène Hollekèke-Nicolas et Dominique Lahary
Le Val-d'Oise occupe la partie Nord-Ouest de l'Île-de-France. Avec ses plus de 1,1 millions d'habitants, c'est le département le plus jeune de France. Il comprend une zone urbaine continue dans sa partie Sud et le long de la vallée de l'Oise mais aussi des espaces ruraux à habitat discontinu. C'est donc une terre de forts contrastes, avec des sites bien connu tels qu'Auvers-sur-Oise, où mourut Van Gogh, ou Roissy-en-France et son aéroport.
Les bibliothèques dans leur territoire
Le Conseil général du Val-d'Oise a, dons le cadre d'une démarche générale intitulée " projet d'ensemble ", défini six territoires ressentis " dans le but d'adapter ses politiques à leurs spécificités.
Le Vexin français (79 communes, 66 300 habitants), zone rurale ne comptant que trois villes de plus de 5 000 habitants, propose une trentaine de bibliothèques pour la plupart associatives et gérées par des bénévoles. Malgré le dynamisme de certaines d'entre elles, cette zone manque d'équipements structurants dans ses bourgs-centres. Mais l'attraction de l'agglomération de Cergy-Pontoise se fait sentir.
Le Pays de France (42 communes, 131 600 habitants) présente dans ses pourtours, notamment le long de la vallée de l'Oise, une urbanisation presque continue. Sept des huit communes de plus de 10 000 habitants disposent de bibliothèques municipales correctement développées et dans la plupart de celles de plus de 700 habitants on trouve au minimum d'une bibliothèque associative gérée par des bénévoles.
La Plaine de France (24 communes, 240 500 habitants) est encore dans sa partie Nord assez rurale, avec des bibliothèques dans six des neuf communes de plus de 2 000 habitants, accusant des écarts d'équipement importants. La moitié sud est une zone urbaine dense, avec des villes comme Goussainville, Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges-les-Gonesse. Le niveau d'équipement en bibliothèques y est globalement insuffisant, voir très insuffisant comme à Sarcelles.
L'Agglomération de Cergy-Pontoise (12 communes, 179 300 habitants), qui eut longtemps de statut de ville nouvelle, dispose d'un réseau de bibliothèques publiques développé? Celles-ci, malgré un statut municipal à l'exception de la BEI(1), partagent un même système informatique et proposent au public une carte unique d'emprunteur. La couverture en équipement de lecture publique est globalement satisfaisante malgré l'absence de bibliothèque à Osny (15 000 habitants)..
La Vallée de Montmorency (20 communes, 287 900 habitants) présente une urbanisation continue malgré l'inégalité des populations communales, qui vont de 2 000 à plus de 33 000. Aucune commune n'est dépourvue de bibliothèque mais le contraste est fort entre les mieux dotées (Eaubonne, Enghien-les-Bains, Ermont, Saint-Gratien, Sannois, Taverny) et les autres.
Les Rives-de-Seine (8 communes, 200 400 habitants) offrent le même contraste, Pierrelaye, Beauchamp, Bezons et Argenteuil (la commune la plus peuplée du Val d'Oie avec près de 100 000 habitants) se détachant du lot.
Une bibliothèque départementale aux missions renouvelées
Héritière de la Bibliothèque centrale de prêt du Val-d'Oise qui fut créée en même temps de le département en 1969, la Bibliothèque départementale avait sous la direction de Françoise Danset connu en 1992 un premier réajustement de ses missions, avec notamment l'adoption d'un Plan départemental de développement de la lecture qui permettant de subventionner toutes les communes quelle que soit leur population et la création d'une mission Petite enfance qui par la force des choses eut à agir essentiellement en milieu urbain.
C'est en se plaçant dans la démarche territoriale de son institution que la Bibliothèque départementale a mené, entre 2002 et 2004, un projet de service qui visait à refonder la politique du Conseil général en matière de développement de la lecture et des bibliothèques. Toute notion de plafond démographique a été définitivement abolie(2) et une bonne partie des effectifs a été répartie en équipes de territoire. Celles-ci ont pour mission d'organiser l'ensemble des services (prêts de documents, conseils, accompagnement de projets), à l'exception de la formation qui demeure en partie centralisée, et sans se priver chaque fois que nécessaire du recours aux compétences d'un agent spécialisé dans un domaine.
La mission traditionnelle de fourniture de documents aux collectivités continue à être assurée, chaque fois que nécessaire, pour compléter les fonds locaux voire s'y substituer quelquefois dans le cas des CD. Mais sur les trois bibliobus, deux sont dédiés à la desserte scolaire tandis que l'approvisionnement " en magasin " s'accroît et que des navettes mensuelles sillonnent le département pour fournir et recueillir les titres réservés.
La Bibliothèque départementale avait établi en 2003 un état des lieux des bibliothèques(3) qui a permis d'établir un diagnostic territorialisé et d'émettre des préconisations qui ont pris place dans les " projets de territoire " élaborés par le Conseil général pour l'ensemble de ses champs d'intervention.
La logique de son projet de service étant de substituer à un soutien point par point l'encouragement à la structuration des territoires par les acteurs locaux, c'est tout naturellement que les équipes de territoire et la direction du service se sont engagés dans l'accompagnement des projets intercommunaux, pour le moment limités aux zones urbaines ou périrurbaines et portant pour la plupart sur la mise en réseau informatique.
RéVOdoc, le réseau documentaire du Val-d'Oise
En 1994, le Conseil général a confié à sa bibliothèque départementale une mission inattendue : agir pour une mise en commun des ressources documentaires des établissements d'enseignement supérieur de la zone de Cergy-Pontoise. Ainsi est né RéVOdoc, " le réseau documentaire du Val-d'Oise ", qui réunit dans un premier temps l'université, l'Essec, l'ENSEA (École nationale supérieure de l'électronique et de ses applications) et l'IPSL (Institut polytechnique Saint-Louis).
A partir de 1999, RéVOdoc s'est ouvert aux bibliothèques publiques et centres de documentation qui le souhaitaient. Il regroupe aujourd'hui 12 établissements de l'enseignement supérieur ou organismes spécialisés divers et 14 bibliothèques ou réseaux de bibliothèques publiques ainsi que quatre services suivants du Conseil général (Bibliothèque départementale, Service de documentation et d'information, Service départemental d'archéologie, Archives départementales). La coordination générale est assurée par la Bibliothèque départementale et celle du prêt entre bibliothèques par la Bibliothèque universitaire.
Ce sont des sous-ensembles de RéVOdoc, régis par convention, qui offrent les services les plus visibles aux utilisateurs. Une carte RéVOdoc commune à l'Université, à l'ENSEA et à l'IPSL permet aux étudiants et enseignants d'emprunter librement dans les trois établissements. Une navette cofinancée par le Conseil général, l'Université et La Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise permet une circulation massive de documents dans le périmètre de l'agglomération entre toutes les bibliothèques publiques et d'enseignement supérieur et la Bibliothèque départementale.
Le caractère partiel du catalogue collectif virtuel RéVOdoc, qui utilise le protocole Z39.50, explique en partie le caractère encore modeste des flux de documents au-delà de cette zone, pour lesquelles la seule logistique mise en place est la fourniture par le Conseil général d'enveloppes prétimbrées. Mais des usagers de bibliothèques municipales comme celle de Beaumont-sur-Oise (8 400 habitants) ou de Pierrelaye (6 900 habitants), par exemple, apprécient de pouvoir faire venir à l'occasion, pour des besoins spécialisés ou de formation en alternance, des ouvrages de la bibliothèque universitaire.
Contribuant à forger un milieu professionnel solidaire au-delà des clivages habituels, RéVOdoc, simple regroupement informel sans personnalité juridique, devrait gagner en visibilité politique grâce à l'adoption en cours d'une charte par les instances de directions ou les assemblées délibérantes des collectivités membres. Ce texte précise que ces dernières " mettent leurs ressources à la disposition de leurs usagers respectifs, dans le respect et les limites de leurs propres missions et règles de fonctionnement. "
Une prochaine étape pourrait être franchie avec le lancement par le Conseil général, avant l'automne 2006, du site web bibliotheques.valdoise.fr qui devrait proposer aux valdoisiens une vision lisible de l'offre en matière de bibliothèques de tous types dans le Val-d'Oise.
Cible 95, la coopération à l'échelle départementale
L'association Cible 95 est née au moment où la coopération régionale ne parvenait pas à s'affirmer et où les BDP (bibliothèques départementales de prêt) avaient des missions plus restreintes qu'aujourd'hui, principalement le prêt de documents aux communes de moins de 10 000 habitants.
Fondée officiellement en 1987 mais fonctionnant officieusement depuis 1978, Cible 95 a pour but de favoriser les échanges professionnels, de mutualiser les moyens et les compétences, de mettre en place des actions de formation et de développer des actions culturelles de promotion de la lecture publique. En effet, dans les années 80, période d'expansion des bibliothèques et de leurs effectifs, les bibliothécaires éprouvaient le besoin de rompre leur isolement pour améliorer leur information et de développer leur professionnalisme.
Dans le contexte francilien, l'échelon départemental est apparu pertinent. La proximité, une approche plus directe entre collègues, le sentiment d'avoir une culture commune, une identité territoriale, ont facilité la création d'une structure permettant aux professionnels de travailler ensemble.
Dans les zones densément peuplées du département, chaque ville possède une bibliothèque et les publics se déplacent facilement. On remarque d'ailleurs que certains usagers ne s'inscrivent pas dans la bibliothèque leur commune de résidence mais de travail ou encore dans celle proposant l'équipement qui répond le mieux à leurs attentes. De plus, les lecteurs très demandeurs sont parfois inscrits dans plusieurs bibliothèques. Une partie du public est donc " volatile " et le fait de se connaître entre professionnels permet des échanges d'informations qui peuvent aider à orienter les acquisitions et surtout aussi à mieux établir des complémentarités entre les fonds.
Dans les années 1980, les bibliothécaires ont commencé à agir pour la mise en valeur des fonds par la programmation d'animations appelées aujourd'hui " actions culturelles ". Il paraissait donc intelligent de se regrouper pour monter des opérations communes et constituer des dossiers de demande de subvention auprès du Conseil général ou de la DRAC.
Ne pas refaire ce qui a déjà été fait, optimiser le travail réalisé, échanger le maximum d'informations professionnelles, être à l'écoute de l'évolution des demandes des publics, actualiser des bibliographies, créer des expositions, des salons du livre, lancer un Festival du Conte, telles sont les grandes orientations du réseau Cible 95.
Au fur et à mesure de l'évolution des missions de la Bibliothèque départementale, avec l'ouverture de ses formations à tous les personnels bénévoles et salariés des bibliothèques du département et de ses subventions à l'ensemble des communes, le partenariat avec Cible 95 a paru s'imposer de plus en plus. Une convention lie depuis 2005 le Conseil général et Cible 95 et trois colloques ont été organisés en commun (sur l'intercommunalité en 2002, Internet en 2003 et les adolescents en 2005).
Mais ce partenariat global qui fédère les forces professionnelles, mais aussi les collectivités territoriales sur l'ensemble du département ne se suffit pas à lui-même. Le livre et la lecture ne sont pas les apanages des seuls bibliothécaires. De nombreux partenaires locaux ou départementaux oeuvrent pour le développement de la lecture et la transmissions des savoirs.
Dans nos communes, les collègues animateurs d'accueil périscolaires ou des centres de loisirs, les services scolaires, jeunesse, enfance, petite enfance et autres sont des acteurs importants. Ils participent tous au maillage départemental. Interviennent également la Caisse d'allocation familiale, la Direction départementale Jeunesse et sports ou la Mutualité sociale agricole, et bien sûr la Direction générale de l'action sociale du Conseil général ou sa mission du développement urbain, chargée de la politique de la ville.
Le Festival Théâtral du Val-d'Oise qui se déroule chaque année dans un grand nombre de communes permet une collaboration intéressante autour du développement des fonds sur le théâtre contemporain et à la dynamisation de ces fonds( lectures, mises en espace, travail intercommunal sur des auteurs, etc.)
La transversalité évidente du métier de bibliothécaire se manifeste dans cet enchevêtrement de réseaux qui, loin de provoquer de déperditions d'énergie, permet au contraire de la fédérer. Apprendre à connaître les autres services et réseaux de son territoire et à partager avec, c'est augmenter ses chances de développer de la qualité de nos services. c'est créer du lien, donner du sens, améliorer les méthodes de travail et appréhender les publics dans leur globalité.
Interview d'Alain Cailleaux, directeur de la Bibliothèque universitaire de Cergy-Pontoise
Quelles sont les caractéristiques de la BU de Cergy-Pontoise ?
La Bibliothèque universitaire est née en 1991 en même temps que l'université, avec dès le départ la préoccupation d'accompagner les enseignements.
A l'image de l'université, la BU se déploie sur plusieurs sites de l'agglomération mais il faut ajouter la bibliothèque centrale des Cerclades, mise en service en 1999 en plein centre du quartier piétonnier de Cergy-Préfecture, hors de tout site d'enseignement. Accessible à tous même sans carte d'étudiant, elle est ouverte 60 heures par semaine et ne ferme que 10 jours par an... et le dimanche. C'est avant tout une bibliothèque de prêt alors que les bibliothèques de sites sont davantage dédiées à la consultation sur place ainsi qu'à la recherche (ressources pour les enseignants et doctorants).
Comment la BU s'inscrit-elle dans son environnement territorial ?
Responsable du prêt entre bibliothèques de RéVOdoc, elle met à profit son expérience en matière de PEB et de mise en réseau, avec le Sudoc(4). Elle gère le véhicule de navette RéVOdoc de l'agglomération et participe à la carte RéVOdoc avec deux autres établissements d'enseignement supérieur.
Avec les bibliothèques publiques de l'agglomération, la BU s'est engagée dans un projet d'acquisition et de conservation partagées, par exemple dans les domaines littéraires. Une complémentarité est recherchée avec la BEI (bibliothèque d'étude et d'information, relevant de la Communauté d'agglomération). La Bibliothèque départementale a cédé à la BU des fonds dont elle n'avait plus l'usage.
Enfin l'Université de Cergy-Pontoise est engagée dans un projet de PRES (pôle de recherche et d'enseignement supérieur) (5). qui fédérerait différents établissements d'enseignement supérieur et des entreprises de l'agglomération.
Propos recueillis par Dominique Lahary
Notes
(1) La BEI (bibliothèques d'étude et d'information), service de la Communauté d'agglomération, assume des missions de documentation pour tout public, notamment dans le domaine de la formation initiale et continue, de la réussite aux concours et examen et de la recherche d'emploi.
(2) Une seule exception : la desserte scolaire, qui demeure mais a été limitée, dans le cadre d'une convention avec l'Inspection académique, aux communes de moins de 5 000 habitants ne disposant pas d'une bibliothèque publique.
(3) État des lieux des bibliothèques publiques du Val-d'Oise : données 2001, Conseil général du Val-d'Oise, décembre 2003. En ligne sur bibliotheques.valdoise.fr.
(4) Système universitaire de documentation.
(5) Voir Construire un pôle territorial, interview de Thierry Coulhon, président de l'université de Cergy-Pontoise, http://www.u-cergy.fr/article6753.html.