BIBLIOthèque(s) no28,
juin 2006
Revue de l'Association des bibliothécaires de France |
Secteur, dîtes-vous ?
Entretien avec Jacqueline Gascuel
Comment avez-vous été amené à vous opposer à l'idée de bibliothèque de secteur ?
En 1968, après quinze ans passés dans le secteur des bibliothèques universitaires, je me trouvais depuis 3 ans déjà, dans un cadre communal, responsable de la bibliothèque et du service culturel d'une ville de la " ceinture rouge " de Paris. Et je découvrais mon inculture totale dans le domaine des lectures du grand public. Au GIF, le groupe régional d'Île-de-France, je côtoyais des collègues moins bien pourvus de titres universitaires que moi... mais bien plus compétents ! Ils étaient riches de leur expérience humaine : certains, comme Josette Dumeix, s'étaient engagés dans la Résistance ; d'autres, comme Édith François, avaient l'expérience d'un travail en usine... Alors, le mépris proclamé par Michel Bouvy et les sectoristes pour tous ces fantassins de la profession m'était insupportable. Au Congrès de Clermont (1968), comme à celui de Colmar (1972), j'ai toujours voté contre la " nationalisation " des bibliothèques (vote oh ! combien minoritaire à ses débuts ).
Je reprochais aux partisans du " secteur " de fonder leur profession de foi sur le document plutôt que sur le lecteur et de préférer une structure utopique à une politique de la médiation... Et ceci dans une parfaite ignorance des structures administratives de la France. Pouvions-nous dans les années 70 espérer réformer ces structures à partir des bibliothèques ? Ne devions-nous pas plutôt y trouver toute notre place... pour devenir " le levain dans la pâte " ?
Pouvez-vous évoquer les implications de ce mouvement au sein de l'ABF ?
Un moment séduits, les collègues du GIF ont par la suite réagi et se sont mobilisés pour une autre défense des bibliothèques, notamment dans le monde politique, puisque en dernier ressort ce seraient les élus (maires ou députés) qui décideraient de l'avenir du réseau de lecture publique. La politique de constructions soutenue par Étienne Dennery et le service de la lecture publique nous a puissamment aidés : il était facile de démontrer à un maire que ses électeurs... seraient nombreux à devenir lecteurs et à apprécier les moyens qu'il donnerait à la lecture publique(1). Nous n'avons pas rencontré le même succès à l'Assemblée nationale, lorsque nous demandions audience aux groupes parlementaires ! Ni même auprès des partis de la majorité d'alors...
Ajoutons que le Centre de formation professionnelle de Massy(2) nous donnait l'occasion de promouvoir une formation qui s'appuyait sur les acquis antérieurs des bibliothécaires de terrain. Le GIF s'en est trouvé renforcé dans son opposition au Secteur : Pourquoi vouloir être " coiffé " par un conservateur issu de l'ENSB quand on peut acquérir une formation directement opérationnelle ? Les bibliothèques publiques avaient surtout besoin de recruter des gens motivés, issus des couches sociales qu'ils auraient à desservir.
Les implications au sein de l'ABF ont été accessoires ! Quelques insultes ont volé, elles ne modifiaient en rien la trajectoire amorcée. Le Secteur, un temps reconnu comme " la doctrine " de l'Association, seul enseignement ayant droit de cité à l'ENSB(3), est mort de sa belle mort avec la décentralisation. Et, en 1985, je pouvais me présenter à la présidence de l'ABF. Ce qui restait à mettre en place c'était un réseau de coopération, de solidarité... Tel que nous l'avions peut-être déjà vécu au sein du GIF, nous efforçant de n'exclure personne et d'écouter ce que chacun avait à proposer, à partir de son expérience, de sa ferveur.
Qu'est-ce qui vous unissait à l'époque ?
Ce qui nous unissait ? L'avenir de la bibliothèque, définie comme équipement " de base et de masse " !
Propos recueillis par Dominique Lahary
Voir aussi :
- La bibliothèque de secteur (1967-1988) : quand s'imaginait un réseau national de lecture publique, par Dominique Lahary .
- Pourquoi la bibliothèque de secteur ? par Michel Bouvy
Notes
(1) La circulaire du 15 mars 1968 qui porte à 50 % de la dépense le montant d'une subvention pour la construction d'une bibliothèque a été passée sous silence par les partisans du " secteur ", lors des Assises de Juillet. Elle nous a puissamment aidés, dans notre dialogue avec les élus.
(2) Centre de préparation au CAFB dépendant de l'État. Une bibliothèque d'application, recevant le public local, y était associée (ndlr).
(3) Massy avait le statut de bibliothèque d'application de l'ENSB, mais jamais aucun conservateur de Massy n'y a été invité pour donner une heure de cours. L'École des Chartes n'a pas eu cet ostracisme !