L’avenir des bibliothèques ? Par Dominique Lahary, pour la journée du 18 décembre 2008 à Tourcoing dans le cadre du vingtième anniversaire de la médiathèque avec ses excuses pour son absence |
Nous vivons une étape de grandes mutations et de nombreuses professions se posent la question de leur avenir. Ce sont notamment les professions de la médiation : journalistes, enseignants, documentalistes, bibliothécaires.
On entend parfois dire, notamment de décideur, que « avec internet ce n’est plus la peine d’aller en bibliothèque » (Renaud Donnedieu de Vabre à la télévision quand il était ministre) ou « Quel sens cela a-t-il de continuer à financer la construction de bibliothèques à l’heure de la dématérialisation du son, de l’image et même des livres, que l’on peut aujourd’hui télécharger ? » (le président du Conseil général de l’Essonne dans Le Parisien Yvelines du 15 septembre 2008, http://www.leparisien.fr/abo-yvelines/nous-allons-batir-des-numericotheques-15-09-2008-225256.php).
Ces idées reposent sur le présupposé selon lequel le rôle des bibliothèque est seulement de fournir des documents, ou du moins qu’elles ne peuvent jouer un rôle que si on a besoin d’elle pour fournir des documents.
Dans cette logique, l’avenir des bibliothèques est indexée sur celle des supports : on prédit pour bientôt la fin des supports physiques pour la musique et le cinéma, et on l’évoque pour le livre.
La question se pose effectivement sérieusement pour la musique et le cinéma. Le recours au livre de papier a déjà reculé pour les usages documentaires immédiats. Mais il n’y a pas de prévisibilité convaincante de disparition du livre de papier. C’est la première réponse. Mais elle ne répond qu’à une partie de la question de l’avenir car ce n’est qu’une partie du présent.
Les bibliothèques, pas toutes les bibliothèques, mais les bibliothèques solidairement, jouent un rôle de préservation de la mémoire, du patrimoine culturel, intellectuel, scientifique. A l’ère numérique, il la mémoire doit aussi être numérique, tant pour sa préservation (même si ce n’est pas simple) que pour sa diffusion. Et il est important qu’il y ait des POLITIQUES PUBLIQUES de préservation et de diffusion numérique de la mémoire. Les bibliothèques, ou les bibliothécaires, peuvent servir à cela. Il serait dangereux que cette question soit laissée à un secteur privé qui a ses propres objectifs, plus dangereux encore si celui-ci repose sur des acteurs ayant ou cherchant le monopole.
Mais les bibliothèques, presque toutes les bibliothèques, sont aussi des lieux publics. La simple observation, confirmée par l’enquête bien connue du Credoc, conforme cette fonction de lieu public quoi n’est pas assez bien étudiée. Dans la lignée d’un colloque que j’ai eu l’occasion d’organiser pour mon conseil général, avec des partenaires, le 11 décembre dernier, je dirais que la bibliothèque publique est un outil de lien social, au carrefour des politiques culturelles, sociales, éducatives et des politiques de la ville des collectivités territoriales. Ce qui s’y passe, ce à quoi elles servent aux habitants, n’est en rien réductible à leur seule fonction documentaire.
En ce sens, les bibliothèques ou les médiathèques, c’est la même chose, peuvent être un des éléments clés de la politique globale d’une collectivité territoriale.
Quant à la fonction documentaire, qui demeure avec ce que les économistes appellent les « biens rares » (les supports physiques, les ressources électroniques payantes donc payées par les bibliothèques pour leur public), elle doit s’étendre à mon sens à l’orientation, à la participation des usagers par leurs commentaires et leur indexation, aux services de questions réponses, etc.
En résumé :
- il n’y a pas que le documentaire (et là s’ouvre un large champ pas suffisamment étudié)
- le documentaire change de nature : de moins en moins constituer des collections locales, de plus en plus les faire circuler, orienter, donner des pistes et des clés à des usagers qui de toutes façons font flèches de tout bois.
Cela nécessitera certainement des évolutions, des mutations dans la conception du ou plutôt des métiers utiles à la réussite des bibliothèques, avec un positionnement clair vis-à-vis du public. Je crois en une bibliothèque publique poreuse, ouverte aux populations dans leur diversité, y compris à des usagers infidèles, occasionnels.
Je terminerai par une citation de Bertrand Calenge interrogé par Archimag (n°220, septembre 2008) :
« A quel scénario [sur l’avenir des bibliothèques] êtes-vous parvenu ?
Je résumerais mes conclusions ou mes interrogations en trois constats qui révèlent autant de perspectives :
- Même si les ressources patrimoniales restent d’une valeur inestimable, les bibliothécaires doivent prendre conscience de la finitude extrême de leurs collections face aux ressources d’internet et reconsidérer la valeur de leur stock au regard de ressources électroniques immenses et non maîtrisées. il faut passer de la satisfaction du stock rare à l’exploitation toujours renouvelée des contenus »
- L’essor des usages numériques fait apparaître plus prégnante encore la nécessité d’espaces sociaux de partage du savoir, de simple vie de communauté. Or les bibliothèques demeurent les seuls espaces publics non marchands, non prescriptifs, existants. C’est une magnifique carte à jouer, dans le lieux physiques mais aussi dans le nouvel espace d’internet !
- Enfin, dans le domaine qui est le nôtre – la recherche d’informations ou plus subtilement l’aide à l’appropriation de la connaissance – je constate que plus les outils technologiques proposés en ce domaine sont sophistiqués, plus le citoyen lambda est désemparé. Les réponses à ce désarroi reposent non sur les technologies mais sur les êtres humains. L’avenir de la bibliothèque, c’est le bibliothécaire et les services qu’il peut construire, voilà ma conviction : Mais il faut façonner pour cela le bibliothécaire de demain, habile en l’art de chercher. »