La lecture publique au cœur des politiques départementales
Journée d’étude

organisée le 17 mars 2009 par l’Assemblée des départements de France
Théâtre de la Cité Internationale - 75014 Paris
avec le concours et la participation de l’Association des Directeurs de bibliothèque Départementale de prêts (ADBDP)

[extrait]

Les bibliothèques départementales face à la révolution Internet

par Dominique LAHARY

Résumé

Dominique LAHARY, Directeur de la BDP du Val-d’Oise, bat en brèche deux idées reçues sur les bibliothèques à l’âge d’Internet :

·         elles auraient perdu leur utilité du fait d’un supposé accès universel par l’intermédiaire d’Internet à toutes les ressources de la connaissance et de la culture ;

·         la numérisation de leurs fonds serait leur voie d’avenir.

Tout n’est pas librement et légalement accessible sur internet. C’est pourquoi de grands programmes publics de numérisation sont nécessaires. Mais ce que la plupart des bibliothèques publiques, y compris les BDP, ont à faire en matière de numérique, c’est de payer pour accès à leurs usagers des ressources électroniques légales (texte, son, vidéo) consultables sur place et à distance. Elles ont aussi à fournir sur leurs sites des services et à y faciliter l’expression des usagers. Pour les Conseils généraux, le dilemme est d’avoir choisir entre un service direct aux habitants du département ou un service classique aux bibliothèques locales.

 

Hier, j’étais présent au Salon du Livre. A l’occasion d’un débat sur le livre numérique, un jeune responsable d’une maison d’édition numérique se félicitait que les livres puissent être désormais disponibles sur les téléphones portables. Il expliquait que les jeunes avaient ainsi la possibilité de s’approprier les textes et citait l’exemple d’une personne qui avait lu Guerre et Paix de cette façon, à raison d’un quart d’heure de lecture par jour. Cet exemple est peut-être extrême, mais il montre d’une certaine manière que notre travail est aussi de rendre disponible les textes et autres documents sur les outils que la population, dans toute sa diversité, utilise.

1.      La révolution de l’Internet

Depuis le début des années 90, nous vivons une véritable révolution qui se caractérise par deux éléments : le tout numérique et le réseau. Le tout numérique signifie que n’importe quel message (texte, image, son) peut être converti en suites de 0 et 1. Cette donnée bouleverse totalement les conditions de production et de diffusion notamment des œuvres culturelles. Elle constitue une révolution au même titre que l’avènement de l’imprimerie en Occident.

Le deuxième phénomène, à savoir le réseau, est tout aussi extraordinaire. Pendant des années, l’Internet a été un mouvement souterrain auquel le grand public avait peu accès. Puis, l’Anglais Tim Berners-Lee et le Belge Robert Caillau, deux chercheurs du CERN, ont inventé le web, qui est la porte d’accès à Internet. Dès lors, l’accès à Internet s’est développé comme une traînée de poudre. Aujourd’hui, plus de la moitié des Français sont des internautes.

Et ce contexte révolutionne toutes les conditions de production et de diffusion de l’information, de la culture et du commerce en général et constitue la plate forme d’une nouvelle économie.

Mais ce média global qu’est devenu le web est aussi une plate-forme d’échanges communautaires et interpersonnels. C’est si l’on veut la fusion de la bibliothèque, du téléphone, du supermarché et du journal intime… devenu « extime ».

Il y a de quoi avoir le tournis et l’on entend souvent dire :« avec Internet, ce n’est plus la peine de se rendre à la bibliothèque ». Cette phrase a même été prononcée à la télévision par un ministre de la Culture, en l’occurrence Renaud Donnedieu de Vabres.

Mais ce genre de phrase on les entend à propos de bien d’autres secteurs : les journalistes, les enseignants, les éditeurs, les librairies, et même les médecins. C’est que la révolution Internet provoque une crise des intermédiaires..

Le public a l’impression qu’il a un accès direct à Internet, sans intermédiaires. En réalité, des intermédiaires, il y en a, et de taille ! Mais ce ne sont plus les mêmes. Une requête sur Google produit du résultat parce que cette entreprise emploie 15 000 personnes et possède 150 000 ordinateurs à travers le monde. Et dans la diffusion des produits culturels, on voit arriver des acteurs qu’on n’imaginait pas : fabricants d’ordinateurs comme Apple, d’appareils d’écoute musicale comme Sony ou d’opérateurs téléphoniques comme Orange.

2.      Les bibliothèques et la numérisation

Qu’ont à faire les conseils généraux dans cette galère ? Ils savent bien qu’il leur revient de prendre leur part de cette révolution. Ils se mêlent des tuyaux, mais aussi des contenus. Ils savent que le développement économique de leur territoire en dépend. Mais aussi le développement éducatif et culturel. Ils équipent les collèges (mon Conseil général vient d’équiper un « collèges numériques »). Que font-ils des bibliothèques ?

En cette matière, nous sommes face à deux idées reçues. J’ai déjà cité la première, qui consiste à penser que les bibliothèques sont devenues inutiles puisque tout est accessible à partir d’Internet. La deuxième idée reçue consiste à penser que la bibliothèque doit passer au tout numérique et que tous ses fonds doivent être numérisés. Ces deux idées sont contradictoires. En effet, si tout est accessible sur Internet, il n’est point besoin de numériser les fonds des bibliothèques. Mais dans une époque aussi troublée, il est normal que se dise tout et son contraire.

a.   Première idée reçue : les bibliothèques sont devenues inutiles avec l’avènement de l’Internet

Elle repose sur deux postulats. Le premier est que tout est accessible sur Internet, librement et gratuitement, est évidemment fausse. Nous l’avons constaté ce matin à l’occasion de l’exposé d’Aline Girard : beaucoup de documents ne sont pas accessibles gratuitement. De même, un certain nombre d’autres documents ne sont pas accessibles légalement. Des continents entiers du savoir et du patrimoine intellectuel ne sont pas disponibles sur l’Internet. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il convient de numériser ce qui ne l’était pas.

Le second postulat est que la seule mission de la bibliothèque est de fournir des livres, des disques et des DVD. Elle est totalement remise en cause aujourd’hui. Les bibliothèques ont d’autres missions, de lien social, de lieu public dans la cité,qui seront décrites dans les tables rondes suivantes.

b.   Deuxième idée reçue : La bibliothèque doit passer au tout numérique et doit numériser tous ses fonds 

Je la réfute en deux temps.

D’une part, Nous n’en sommes pas, ou pas encore, au tout numérique. Regardons tout simplement où en est le marché, on en déduira où en sont les bibliothèques. Le marché des CD est en baisse sans avoir encore disparu : on prête encore mais de moins en moins des CD en bibliothèque. Le marché des DVD se porte encore bien : c’est un secteur très actif en bibliothèque. Le marché du livre électronique est embryonnaire : on en est dans les bibliothèques au stage de l’expérimentation. Les gens se débrouillent tout seuls pour trouver sur l’Internet des informations ponctuelles : les documentaires, et plus particulièrement les usuels, sont touchés, les besoins en bibliothèque ne sont plus les mêmes et ils sont en réduction.

D’autre part, il ne faut pas confondre numérique et numérisation. La numérisation, c’est rendre numérique ce qui ne l’est pas, ou ne l’est plus. A l’aube de l’ère numérique où nous sommes encore, c’est une nécessité que de numériser, tout ce qui peut l’être, comme à une autre époque on s’est mis à imprimer ce qui était jusqu’ici manuscrit. Mais ce n’est pas la peine que tout le monde numérise tout ; Ce n’est même pas légal : reproduire une œuvre qui n’est pas dans le domaine public ne peut se faire sans autorisation des ayants droit, sauf ide de la propriété intellectuelle depuis la loi DADVSI du 1er août 2009.

Il est pertinent que la BnF ait mis en œuvre un programme national de numérisation et que celui-ci soit conduit en partenariat avec un certain nombre d’institutions. En revanche, dans le fonds de la BDP du Val-d’Oise quue je dirige, je ne vois rien à numériser. Tous les ouvrages sous forme physique sont appelés à le rester, même si mon travail consiste aussi à donner par ailleurs accès à des ressources numériques.

3.      Les conseils généraux face à la numérisation

Si les conseils généraux n’ont généralement pas à numériser les collections des BDP. En revanche, ils doivent numériser leurs archivesr, et peut-être une partie des fonds souvent conserver dans les bibliothèques de leurs services d’archives, comme des périodiques ou des livres anciens. En outre, les conseils généraux produisent des informations sur leurs départements et leurs territoires. En la matière, ne commettons pas l’erreur des éditeurs qui ont négligé la numérisation de leur production. Soyons conscients que nous vivons dans un monde numérique : toute information produite sur le département doit être maîtrisée et en particulier son édition numérique.

La situation des bibliothèques publiques par rapport au numérique est très particulière. Elle n’a rien à voir avec celle de la BnF, ni celle des bibliothèques universitaires. Ces dernières évoluent dans une sorte de monopole. Les ressources scientifiques et techniques sont de plus en plus dématérialisées, mais elles coûtent très cher. Les étudiants, les chercheurs et les enseignants ont besoin que l’université paye pour eux des ressources auxquelles ils auront accès par le biais d’un mot de passe. S’agissant des bibliothèques municipales, le schéma est très différent. Le grand public, lui, a le sentiment qu’il peut avoir accès à toutes les ressources par Internet. Il n’attend donc pas de la bibliothèque municipale une offre originale. Nous sommes donc dans le cadre d’une offre qui n’est pas encore visible. Certes, des personnes paient des abonnements pour l’accès à des revues de presse (Arrêt sur images, Mediapart, etc.), mais cela reste marginal. Nous en sommes donc à la construction progressive d’une offre de ressources à laquelle on ne peut avoir accès sur Internet qu’en payant.

Dans cette situation, le premier devoir d’une bibliothèque, c’est tout simplement de proposer des postes d’accès à Internet. Parce que pour ceux qui ont Accès par ailleurs, cela n’a pas des sens qu’Internet ne soit pas aussi à la bibliothèque. Parce que pour ceux qui n’y ont pas accès, la bibliothèque (entre autres) peut être u endroit pour eux. Les bibliothèques sont aussi des lieux où on apprend à s’en servir.

Voilà, c’est tout bête. Les bibliothèques publiques doivent mettre à la disposition de leurs usagers, non plus seulement leurs propres collections, non plus seulement celles de la BDP, mais aussi le web tout entier. Cela, c’est déjà une révolution. Et c’est tout simple.

Les conseils généraux jouent leur rôle en équipant ou subventionnant l’équipement des bibliothèques et en formant leurs personnels salariés et bénévoles.

Mais il y a aussi du numérique payant, pour lequel on retrouve le rôle traditionnel des bibliothèques. Celles-ci ont toujours acheté des livres ou des CD pour ensuite les prêter. Elles achètent aujourd’hui des ressources numériques pour les diffuser à leurs usagers. En matière de musique, les bibliothèques participent à la construction du paysage de l’offre légale, sans visibilité sur ce qu’il deviendra. Le cinéma est dans un contexte comparable. Enfin, pour le texte, il n’existe pas de piratage massif. Toutefois, la conscience se développe selon laquelle des textes entiers deviennent accessibles, certains gratuitement, d’autres de façon payante. Les bibliothèques peuvent jouer un rôle dans ce domaine, au même titre que les libraires ou les e-distributeurs.

On distingue deux modèles de distribution des ressources numériques. Le premier consiste à les fournir sur place, dans les bibliothèques. Ce modèle est certes appréciable, mais il n’est pas suffisant. Il doit s’accompagner de dispositifs de mise à disposition à distance. Le premier dispositif, appelé streaming, est celui de la lecture ou de l’écoute en ligne, sans téléchargement. Le second dispositif repose sur le « prêt » de fichier chrono-dégradables, qui se détruisent au bout d’un mois.

Mais n’oublions pas ce qui est peut-être l’essentiel : le service en ligne. Proposer son catalogue, c’est le minimum. Plus de la moitié des bibliothèques départementales ont leur catalogue sur Internet, mais pas beaucoup plus. Y sont associés des services personnalisés comme les réservations pour les particuliers ou les collectivités. Mais il y a aussi les services de questions-réponses, comme à la BDO de Saône-et-Loire. Et puis, à l’heure du Web 2.0, les sites de bibliothèque peuvent être un espace d’expression pour le publique, un espace pour faire communauté. On voit se développer les blogs de bibliothèques, comme Chermedia dans le Cher.

C’est tout cela, le numérique

4.      Conclusion

Les conseils généraux sont face à un dilemme : doivent-ils s’adresser directement aux habitants ou bien recourir à un intermédiaire, en l’occurrence les bibliothèques publiques qui sont leurs partenaires habituels ? Les deux modèles se développent aujourd’hui. Par ailleurs, les conseils généraux mettent en place des portails de services. Les sites culturels des départements offrent ainsi un espace d’animation et de participation des habitants, ainsi qu’un outil d’accès aux documents.

Il est encore tôt. Il est déjà tard. L’essentiel est de s’y mettre. Acceptons d’expérimenter. Voyons loin, et tâtonnons