« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »
Les bibliothèques après les événements de janvier 2015

Intervention de clôture de la
journée d’étude nationale de l’ABF, Paris, médiathèque Françoise Sagan, 21 mai 2015
par Dominique Lahary


Nous voici au terme d’une journée dense dont nous allons faire quelque chose.

Elle s’est ouverte sous les auspices de la République avec l’intervention de Cristina Ion(1).

Je vais vous faire un aveu, je me suis toujours senti davantage démocrate que républicain. Ces événements m’ont fait prendre de la graine républicaine. J’espère que les républicains prendront de la graine démocrate.

Bien sûr, ce vocabulaire est très français, on s’exprimera autrement dans d’autre contextes nationaux. Mais c’est notre vocabulaire, usons-en.

Les événements de janvier nous ont touchés au cœur, mais sur quel ventricule ? L’oubli fréquent du 9 janvier l’indique assez : nous avons raisonné « liberté d’expression », « pluralisme », c’est-à-dire finalement « politique documentaire ». Appelons-le le ventricule droit. Le républicain ?

Mais il y a aussi le ventricule gauche, le démocrate : c’est le lien social, c’est la bibliothèque comme pouvant faciliter le vivre ensemble.

C’est là que nous avons délibérément placé le centre de gravité de cette journée ? D’autres auront lieu du point de vue du ventricule droit, c’est aussi nécessaire. Et bien sûr, les deux sont liés.

Nous avons été abasourdis, sidérés, choqués, mais il faut évidemment dépasser le temps de l’émotion.

Le slogan « Je suis Charlie » s’est imposé en un éclair. Il m’était facile à brandir puisque la plupart des assassinés de lundi faisaient partie de ma culture familière, certains depuis très longtemps. Je rends hommage à tous ceux qui l’ont fait sien alors que ce n’était pas le cas : c’est eux qui lui ont donné tout son sens. On ne tue pas qui blasphème, qui est policier, qui est juif. Comme on ne ratonne pas ceux qu’on considère comme les « autres ». Mais bien sûr ce slogan a connu ses limites car après avoir rassemblé il a clivé. Il est dépassé.

République et démocratie, cela peut s’exprimer en termes bibliothéconomiques :

Mais il faut aussi savoir oublier la bibliothéconomie.

Ne pas penser dans le cercle de la bibliothèque mais faire que la bibliothèque contribue à l’œuvre commune.

Tout le partenariat est là, dont nous a parlé Danièle Frelaut1(2) : ne parlons pas des partenaires de la bibliothèque mais considérons la bibliothèque comme partie prenante parmi d’autre de cercles de partenariat et de transversalité.

J’ai été frappé par un terme qui est revenu dans l’intervention d’Isabelle Gassenq(3) : acharnement. C’est cet acharnement qui a permis à la médiathèque où elle exerce, au-delà des échecs et des doutes, de surmonter et finalement de réussir.

Faire d’une médiathèque un véritable lieu du vivre ensemble, un lei qui fait du bien à un quartier et attire au-delà est un travail de long terme, On peut comprendre qu’individuellement des individus puissent se décourager : l’important est que l’institution tienne sur la durée. Cela repose aussi sur des individus.

Joëlle Bordet nous a parlé des zones neutres(4) que nous proposions à la population et qui sont nécessaires. Ca ne vous rappelle rien ? C’est une façon de revisiter ce qu’on a appelé ces temps-ci le troisième lieu, en mettant l’accent sur un de ses enjeux. Ce lieu ou peut se faire le brassage social et générationnel, où je peux dépasser mes enfermements, où je suis libre hors de la famille ou avec elle.

Ouvrons donc ces lieux, ils y ont tous droit. Nos collections, notre façon d’accueillir peuvent inclure ou exclure.

Mais nous ne sommes plus dans le cocon de la collection, de la bibliothèque on peut accéder à plus, graêce aux réseaux de bibliothèque, au vaste monde qu’est Internet.

Et doivent être présentes dans ce que nous proposons les idées en débat, l’actualité ! Nos collections et ce à quoi nous donnons accès ne doivent pas être neutres, on doit accepter ce qui fait débat, ce qui oppose.

Ça c’est le cadre général, la République. Mais la démocratie c’est le quartier concret, que Joëlle Bordet nous a invité à être réellement instruits.

Revenons à sa remarque : « dans toute ma carrière d’observatrice et d’accompagnatrice de projets dans les quartiers, j’ai très peu rencontré les bibliothèques parmi les acteurs qui m’étaient présentés ».

C’est que d’une part notre façon d’être, locale ou nationale, peut à notre insu diffuser cette idée que nous ne sommes pas dans le sujet.

Et d’autre part, quoi que nous fassions, des élus, des directions générales, des directeurs de l’action culturelle, des animateurs peuvent avoir des représentations des bibliothèques qui les mettent hors sujet.

Il faut dépasser avec acharnement ces représentations.

Puisse le choc que nous avons ressenti en ce mois de janvier être surmonté, sublimé en quelque chose d’utile à notre société.

Cela suppose de réviser

  • nos pratiques d’offre culturelle et documentaire,
  • notre action pour le vivre ensemble afin que les zones neutres ou 3e lieux dont nos avons la charge fassent du bien à nos contemporains, aux populations, facilite le vivre ensemble, et finalement quelque chose comme la fraternité.


(Le présent texte est une version écrite après mon intervention orale, non une transcription de son enregistrement).


Notes

(1) Les bibliothèques et la République, intervention de Cristina Ion, chef du service Sciences sociales à la BnF.

(2 Co-construire une politique de lecture publique dans un quartier d'habitat social : mise en place d'un Contrat-Territoire-Lecture à Chevilly-Larue, intervention de Danièle Frelaut, bibliothécaire retraitée, membre du Bureau d'ACCES (Action culturelle contre les exclusions et les ségrégations).

(3) Au cœur d'un quartier sensible : les réponses de l'équipe de la médiathèque Shakespeare de Montpellier, intervention d’Isabelle Gassenq, responsable de la médiathèque..

(4) Le rôle des médiathèques dans les dynamiques sociales et cuturelles des quartiers populaires: quelle place des jeunes ? , intervention de Joëlle Bordet, psychosociologue, chercheur au Centre scientifique et technique du bâtiment, auteur de Adolescence et idéal démocratique : Accueillir les jeunes des quartiers populaires avec Philippe Gutton et la participation de Serge Tisseron, In Press, 2014


   Publié en ligne par Dominique Lahary
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