Classification et accès à l'heure du web
Message de Dominique Lahary à la liste de diffusion biblio-fr, 17/12/2001
Le présent texte comporte des rectifications mineures par rapport à celui posté sur biblio-fr

Les messages sur la classification Dewey, qui montrent qu'on peut aussi avoir de vrais débats sur cette liste sur des sujets strictement bibliothéconomiques, ont permis, notamment grâce à la contribution de Thierry Giappiconi, de rappeler les deux usages d'une classification :
l'indexation intellectuelle permettant un accès à la description,
la cotation permettant le classement physique du document donc un accès à celui-ci.

Avec l'introduction du libre-accès du public aux collections, qui a représenté peut-être la principale révolution bibliothéconomique du dernier demi-siècle, la classification s'est faite classement puisqu'on s'est mis à ranger les documents selon une classification intellectuelle, permettant au public de déambuler dans l'ordre (supposé ou arbitrairement arrêté) du savoir et de la production intellectuelle. L'indexation est devenue cotation. Mais ce faisant on n'a plus traité la première qu'en fonction de la seconde, et l'on a confondu indice et cote.

Or il existait du temps des catalogues sur fiches, et cet usage a un temps survécu à l'introduction du libre accès, des catalogues systématiques suivant la classification. Un même ouvrage pouvait naturellement faire l'objet de plusieurs fiches systématiques. Les lecteurs avaient la possibilité de feuilleter l'ordre (supposé) du savoir, et les indices étaient généralement traduits en clair.

En informatisant les catalogues on a automatisé les usages les plus récents du catalogage sans les revisiter. On ne s'est pas intéressé à la question de l'indice et de la cote. Certains logiciels ont confondu les deux notions, la gérant tantôt dans la notice bibliographique, tantôt dans la notice d'exemplaire. D'autre, comme il est intellectuellement correct, ont bien distingué l'indice répétable de la notice bibliographique et la cote non répétable de la notice d'exemplaire, mais les pratiques de création et/ou de récupération de notice ont divergé. Elles sont aujourd'hui d'une grande hétérogénéité. Tantôt on gère avec soin l'indice, tantôt non. Les OPAC ont proposé des accès par auteur, titre, sujets, mais généralement pas par indice. La littérature professionnelle, sauf erreur de ma part, s'est peu intéressée à cette question.

Le lecteur présent physiquement dans une bibliothèque a deux possibilités d'accès aux documents  ;:
un accès direct pas déambulation dans le classement/classification
un accès indirect par le catalogue : il lui faut alors formuler une requête (auteur, titre, sujet...)
OUI MAIS si l'utilisateur interroge le catalogue a distance, il n'a pas la possibilité de déambuler. Le voilà donc contraint à formuler une requête. C'est terrible, d'avoir à formuler une requête, de n'avoir que cette possibilité là. Nous sommes ramenés au temps d'avant le libre accès.

Dans une communication au séminaire du Cébral tenu à Nîmes le 6 mai 2000, j'ai imaginé ce que pourrait être l'équivalent sur écran d'une bibliothèque, avec son hall d'accueil comprenant affiches et petites annonces, son coin périodique, ses catalogues, enfin ses rayonnages ordonnés selon une classification exprimée en clair. J'ai proposé une page web reprenant ces principes, puis j'ai montré que cette page était une simple reproduction de la page d'accueil de Yahoo, avec une substitution d'un nombre très réduit de mots. Je concluais : "sachons les imiter, eux qui ont su si bien nous imiter".
Voir http://www.lahary.fr/pro/2000/cebral2000/cebral-lahary.html#3-3

La plupart des outils de recherche sur le web proposent des classifications. Tous les annuaires de sites web reposent sur une classification arborescence (subject tree). Le web prouve là sa nature éminemment bibliothéconomique. Il est proposé à l'internaute de se déplacer dans une classification, exactement comme le lecteur se déplace physiquement dans un fonds de document classé selon la classification Dewey. On a simplement :
expression en clair de la classification
fusion de la notion de vedette matière et de la notion de classification, autrement dit, selon un vocabulaire peut-être tombé en désuétude, fusion entre les deux indexations matière : l'alphabétique et la systématique.

Certes, on sait que les internautes utilisent davantage la recherche par mot-clé que le feuilletage par sujet. Mais on peut le voir comme complément. En outre, nombre d'annuaire permettent, à partir d'une requête par mot, de rebondir sur la classification et de s'y promener (l'internaute peu au fait de ces questions, bien sûr, ne s'en aperçoit pas forcément, l'important c'est qu'il TROUVE).

Je propose donc très sérieusement que nos OPAC bénéficient donc de ce qui a été inventé pour rechercher sur le web, et qui, comme j'ai enté de le montrer, n'est ni plus ni poins que la reprise de concepts bibliothéconomiques, ou documentaires si l'on préfère, bien antérieurs à l'informatique.

Le web popularise à une échelle fantastique la recherche documentaire, même naïve, même primitive. Plus nous ferons ressembler nos interfaces de recherche à celle du web, plus nous seront compris des utilisateurs.

Trois commentaires sur cette proposition :

a) le fameux problème du bruit : d'abord il n'y a rien de pire que le silence. La requête à formuler, c'est souvent du silence. Ensuite, il faut aussi se mettre à une fourniture de résultats par pondération, comme on fait sur le web. Ou fournir par défaut les enregistrements les plus récents, puis proposer les résultats suivants, un affinage de la recherche, etc.

b) Cette proposition n'est pas un appel à respecter a priori telle classification à laquelle il ne faudrait rien changer. Le travail des discothécaires sur la classification ne porte pas seulement sur les cotes : c'est aussi un travail intellectuel, et je ne puis qu'appuyer les propos d'Alain Caraco invitant à adapter les classifications. François Gèze dans sa contribution à biblio-fr dans le cadre de ce débat ou Claudine Belayche dans un article du Bulletin d'information de l'ABF n°175 (2ème trimestre 1997) ont mis l'accent sur les tares intellectuelles de la classification Dewey. La classification arborescente que je propose comme accès aux notices dans le cadre des OPAC web n'a d'ailleurs aucune raison d'être univoque, et j'imagine a priori possible de combiner une approche systématique, fondé sur des indices exprimés en clair, et une approche par centre d'intérêt, problématique qu'autrefois Richard Roy a contribué popularisé, et dont je m'étonne que le web ne nous ait pas donné l'idée de la revisiter. J'invite d'autre part à examiner, au moins examiner, les classifications des libraires ou élaborées à leur intention, et je renvoie aux travaux sociologiques sur le décalage entre nos classements et la démarche spontanée de nombreux usagers.

c) Ce qui vaut pour l'internet vaut aussi pour l'intranet, bien sûr. Et puisqu'il n'y a désormais de bons OPAC que d'OPAC web, ont peut aussi proposer la double déambulation, dans les rayonnages et sur écran, dans un même bâtiment.

Dans ma contribution au séminaire du Cébral, je faisais remarquer qu'en français nous ne parlons de d'outil de recherche, d'instruments de recherche, de stratégies de recherche, de recherche documentaire, quand les anglo-saxons utilisent les verbes find et retrieve, trouver et récupérer. Très curieusement, Woody Allen, dans son dernier film Le sortilège du scorpion de jade, utilise l'expression française chercher la femme et, invité à la traduire, dit : finding the woman.

Aidons donc nos utilisateurs à TROUVER plutôt qu'à chercher. Je suis persuadé que les classifications peuvent les y aider.

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M. Dominique LAHARY
Bibliothèque départementale du Val d'Oise
28, av. du Général-Schmitz - F - 95300 PONTOISE